L'Etoile sonore en haut débit

Collombey le 10 juin 2015, (Apic) L’Etoile sonore, la bibliothèque sonore pour aveugles du monastère des Bernardines de Collombey, en Valais, propose des livres depuis 1964. De la bande magnétique aux supports  numériques actuels, la technique a profondément évolué. Mais le service reste le même: rendre la culture accessible à des personnes qui en seraient privées. Rencontre avec Sœur Marie-Paule qui gère cette sonothèque.

«Les aveugles lisent beaucoup plus que les voyants, cela me frappe beaucoup. Il est vrai qu’ils n’ont pas accès à l’image, cela accentue leur habitude de lecture». Les statistiques de prêts affichent une moyenne de 20 livres par personne et par an. Certains usagers de la sonothèque lisent plus. «Je ne suis pas sûre que les voyants lisent autant», avance Sœur Marie-Paule. La voix est douce et le propos sans exubérance. La sœur nous reçoit dans un bureau du monastère dont tout un pan de mur est occupé par des armoires vides. On y trouvait il n’y a pas si longtemps une partie des milliers de cassettes concentrant les 8’000 livres parlés du fonds. Après un tri sévère, la Sœur et son équipe, ont fait entrer la sonothèque dans l’ère du numérique. L’Etoile sonore propose aujourd’hui 2’000 ouvrages gravés sur cd-rom lus par des bénévoles. «La Bible en version intégrale nécessitait des dizaines de cassettes, elle tient aujourd’hui sur 6 CD-Rom», sourit Sœur Marie-Paule.

Vivant dans la communauté depuis 16 ans, Sœur Marie-Paule gère la sonothèque depuis huit ans. L’informatisation puis la numérisation du fonds n’ont pas posé de problèmes à celle qui a une formation d’ingénieure en informatique. «Je suis retirée des affaires mais il y a de bons restes, admet-elle. Le site dédié à la sonothèque existait déjà, nous devions le faire évoluer, de même que notre offre». «Je constate que les personnes handicapées savent très bien s’approprier la technologie lorsqu’elle est mise à leur service. Cette évolution témoigne aussi du lien intergénérationnel qui s’est tissé entre les personnes âgées et leurs enfants ou petits-enfants qui les aident dans leurs démarches», se réjouit Sœur Marie-Paule.

Spiritualité, philosophie et actualité

La Bible reste le livre le plus demandé depuis la création de l’Etoile sonore en 1964. La richesse du fonds en ouvrages spirituels et philosophiques est un des atouts de la sonothèque. «Cette spécificité thématique a contribué à notre essor. Nous sommes les seules à proposer la Liturgie des heures en intégrale et autant de volumes spirituels»,, explique la sœur. Alors qu’elle dispose de deux exemplaires de chaque livre, Sœur Marie-Paule fait enregistrer jusqu’à cinq exemplaires des encycliques du pape en raison de la très forte demande à chaque publication. Elle attend donc avec impatience l’encyclique du pape sur l’écologie humaine, prévue le 18 juin, pour pouvoir la faire enregistrer au plus vite. Lors de l’élection du pape François, la bibliothèque a croulé sous les demandes de livres le concernant. «Nos bénévoles enregistrent jusqu’à 250 livres par an» ajoute-t-elle. Un fond varié constitué pour un tiers de livres sur la spiritualité, religieuse et laïque, et la philosophie, pour moitié de romans en tous genres et pour le reste de livres traitant de thèmes tels que l’écologie et la mondialisation. L’actualité intéresse aussi les abonnés: «Le printemps arabe, la guerre en Syrie et les événements dramatiques survenus en Méditerranée nous ont amené beaucoup de demandes sur l’islam, les pays arabes et les migrations humaines», confirme Sœur Marie-Paule. Des abonnés demandent parfois la lecture de modes d’emploi pour de l’électro-ménager.

A l’écoute des aveugles et des voyants handicapés

«Nous nous efforçons de répondre à toutes les demandes de nos lecteurs», précise la sœur. Ce n’est pas toujours facile quand les abonnés représentent un panel de 250 auditeurs de 13 à 104 ans et dont la moyenne d’âge se situe autour des 75 ans. Elle reçut un jour la demande d’une maman qui voulait emprunter «Les Misérables» de Victor Hugo. Un monument littéraire dont la lecture était impossible pour sa fille dyslexique qui devait l’étudier en classe.

«La grande majorité de nos auditeurs est aveugle ou malvoyante mais parmi eux se trouvent des gens voyants dont le handicap les empêche de lire», indique la responsable de la sonothèque. En effet, les personnes tétraplégiques ou qui ont subi un traumatisme les empêchant de se concentrer, les personnes atteintes de dyslexie ou de la maladie de Parkinson ou momentanément en dépression, contactent régulièrement la sonothèque du monastère.

Par goût d’abord et pour exercer au mieux sa fonction de bibliothécaire, la responsable de l’institution est une grande lectrice. Elle doit répondre à la curiosité des lecteurs les plus assidus et conseiller les autres. «Nous avons une très belle relation avec nos auditeurs. Nous échangeons et nous pouvons ainsi nous adapter à leurs demandes». Sa passion pour l’institution et la lecture contraste avec la sobriété avec laquelle elle en parle. «Ici, je peux allier l’amour de la lecture, la liturgie et l’informatique. Je suis comblée».

Encadré

L’Etoile sonore propose aux personnes aveugles et malvoyantes des livres enregistrés depuis 1964. A l’origine il s’agit de livres dont la lecture est enregistrée sur des bandes magnétiques. Peu pratiques à manipuler, elles ont laissé la place aux cassettes qui connaissent dans les années 70 un boom sur le marché des produits audio. Les lecteurs-enregistreurs de cassettes, tout aussi abordables, ont permis aux lecteurs bénévoles d’enrichir la collection de la sonothèque hébergée au monastère de Collombey. Dès 2006, le fonds a été numérisé progressivement, soit en transférant le contenu des cassettes sur CD-Rom, soit par enregistrement de nouveaux livres. Ils sont maintenant enregistrés en MP3, un format audio numérique standard, et tous disponibles sur cd-rom, clé USB ou sur cartes SD.

Les réseaux devenant plus performants et la vitesse de la bande passante ayant fortement augmenté, la question de proposer les livres en téléchargement s’est logiquement posée. «Il s’agissait d’améliorer notre service en proposant des livres au téléchargement et puis nous pensions à l’avenir du site à moyen terme», explique Sœur Marie-Paule. Lancé en septembre 2014, le téléchargement représente déjà 20% des prêts, environ 1’000 demandes, et concerne 10% des abonnés. Des statistiques élevées auxquelles ne s’attendait pas l’équipe de l’Etoile sonore. »Ces chiffres résultent peut-être du phénomène de curiosité lié à la nouveauté du service. Nous devrons attendre quelques temps pour voir si une tendance se dégage, tempère la bibliothécaire, mais nous n’avons pas constaté de baisse pour l’instant». Les auditeurs ont été très réactifs. (apic/bh)