Sri Lanka: Des Tamouls peuvent enfin honorer leurs morts en public
Colombo, 21 mai 2015 (Apic) Le 18 mai 2015, sixième anniversaire de la fin de la guerre civile, les Tamouls de la province du Nord du Sri Lanka ont pu célébrer ouvertement la mémoire de leurs morts. Depuis la fin de la guerre, en mai 2009, c’est la première fois qu’ils ont pu le faire en public, le gouvernement ayant en partie levé les interdictions liées à cette commémoration.
A Mullivaikkal, aux portes de la péninsule de Jaffna, plusieurs centaines de Tamouls s’étaient réunis afin, dans la tradition hindoue, d’allumer des lampes à huile et de procéder à des offrandes de fleurs pour honorer leurs morts, rapporte Eglises d’Asie (EdA), l’agence d’information des Missions Etrangères de Paris. En mai 2009, dans les derniers jours d’une guerre civile qui durait depuis 37 ans, la localité et ses environs avaient été le théâtre d’un assaut impitoyable de l’armée gouvernementale contre les derniers éléments des Tigres tamouls. 300 000 civils étaient pris au piège et, selon l’ONU, au moins 40’000 d’entre eux y perdirent la vie.
Cette année, les cérémonies marquant la fin de la guerre ont revêtu une tonalité nouvelle. Dans les années qui ont suivi la défaite des Tigres, le gouvernement de Colombo, dirigé par le très autoritaire président Mahinda Rajapaksa, célébrait, avec force défilés militaires, le «Victory Day», et interdisait toute commémoration en pays tamoul. Cette fois-ci, le président Maithripala Sirisena, élu le 8 janvier dernier, a changé les «célébrations de la Victoire» en «Journée du souvenir» pour toute la nation, mettant l’accent non plus sur la victoire militaire remportée il y a six ans mais sur la réconciliation entre les différentes composantes de la population sri-lankaise.
Le premier pas d’une longue route
Le 19 mai, dans une adresse à la nation, Maithripala Sirisena a déclaré que son gouvernement donnerait la priorité à la réconciliation. «Depuis la fin de la guerre, beaucoup a été fait pour reconstruire les infrastructures mais beaucoup reste à faire pour reconstruire les cœurs et les vies brisés de notre peuple», a affirmé le chef d’Etat.
Dans un pays où les esprits sont encore profondément marqués par des décennies d’affrontement sanglant, la nouvelle attitude du gouvernement est saluée, sans que la défiance ne disparaisse pour autant, assure EdA. Président du Global Tamil Forum, instance fédérant diverses organisations de la diaspora tamoule, le Père S. J. Emmanuel, prêtre catholique tamoul installé en Allemagne depuis 1997, déclare: «Ce changement est bienvenu. C’est une lumière au bout du tunnel, le premier pas d’une longue route qui mènera à une paix future».
Tensions toujours présentes
Les antagonismes restent toutefois bien réels. Le principal parti politique tamoul, la Tamil National Alliance, a refusé de prendre part aux cérémonies nationales organisées à Colombo. Ses dirigeants ont préféré s’associer à la cérémonie organisée à Mullivaikkal. Ils n’ont pas manqué de dénoncer les restrictions imposées aux Tamouls pour célébrer librement cette «journée du souvenir».
L’avant-veille du 18 mai, la police dans le district de Mullaitivu avait en effet obtenu de la justice un arrêté interdisant tout défilé ou procession publique pour commémorer les morts du LTTE (Tigres de libération de l’Eelam tamoul). Pour marquer sa désapprobation face à un tel arrêté, le ministre-président de la province du Nord, le tamoul C. V. Wigneswaran, s’est affiché aux côtés des Tamouls qui ont allumé des lampes à huile à Mullivaikkal. «La communauté internationale doit tout faire afin que justice soit rendue à tous les innocents qui ont péri dans les dernières phases de la guerre», a-t-il déclaré, dans une allusion au fait qu’un rapport sur les massacres commis à la fin de la guerre doit être remis en septembre prochain au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, à Genève.
Selon Suresh Premachandran, président de la Tamil National Alliance et député de Jaffna, les interdictions édictées par la justice pour empêcher les processions sont le signe que le gouvernement ne veut pas aller plus loin vers la réconciliation. «Le gouvernement [de Sirisena] dit à la communauté internationale qu’il respecte la dignité des Tamouls, mais il obtient des décisions de justice pour empêcher les Tamouls d’honorer la mémoire de leurs morts», dénonce-t-il, tandis que d’autres s’inquiètent de la campagne menée actuellement par divers médias cinghalais pour un retour sur le devant de la scène politique de l’ancien président Rajapaksa. (apic/eda/rz)