«C'est moi qui décide!»
Pierre Pistoletti
Il y a d’abord la photo: une femme de 35-40 ans, charmante, souriante et convaincue. Il y a ensuite l’objet de la publication: «Oui à l’initiative pour l’autodétermination» et, enfin, la quintessence de l’argumentation: «Car ici, c’est moi qui décide»!
Gracieusement offerte à tous les ménages suisses, la liste de signatures en faveur de l’initiative populaire fédérale, «Le droit suisse au lieu de juges étrangers», est émaillé de quelques formules fortes, tintant comme des clochettes de Pavlov.
Retenons celle qui préside à l’argumentaire: «Chères Suissesses, chers Suisses, notre liberté est un bien précieux.»
Le mot est lâché: «Notre liberté est précieuse». Certes! Mais au fond… de quelle liberté parle-t-on?
Le père Servais-Théodore Pinckaers, théologien moraliste d’auguste mémoire à l’université de Fribourg, avait dégagé de la somme théologique de saint Thomas d’Aquin une distinction, toute simple, qui permet de jeter une lumière plus profonde sur cette réalité complexe. Il distinguait la «liberté d’indifférence» de la «liberté de qualité».
La première peut se résumer par le slogan que l’on prête à la charmante demoiselle: «Car ici, c’est moi qui décide»! Etre libre revient exclusivement à la capacité de choisir – de manger une pomme ou de ne pas manger une pomme, par exemple, ou d’épouser cette femme ou cet homme, ou les deux, voire même de vivre ou de mourir. Bref, pour que l’acte soit jugé libre, il faut que la volonté ait, à tout instant, la capacité la plus absolue de choisir. En d’autres termes, la liberté signifie l’indétermination totale.
Rien de bien sorcier dans cette conception de la liberté ancrée dans nos conceptions occidentales.
Or, la liberté est une réalité extrêmement vaste dont la compréhension mérite un minimum de finesse. A la massive «liberté» d’indifférence, Pinckers opposait la liberté de qualité.
Selon le dominicain, la liberté n’est pas donnée, elle s’acquiert patiemment. Elle est le terme jamais atteint d’un travail de la volonté qui, progressivement, s’ordonne au bien jugé comme le plus important. Elle implique patience et magnanimité dans sa détermination; puis courage et persévérance dans sa réalisation pratique. Dans une telle optique, l’homme devient libre dans la mesure où sa vie s’oriente petit à petit vers le bien investi de la plus haute valeur.
Il s’agit là d’une voie ardue, ascétique à certaines heures, d’un sentier de montagne. Réduire la liberté au confort de l’autodétermination n’est pas nouveau en soi. Le cocasse de l’histoire, c’est que cette réflexion émane de la droite dure. Elle utilise ainsi – à son insu – les ressorts philosophiques qui font le lit d’idéologies qu’elle combat avec beaucoup de… pugnacité.
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