Chine: Les commerçants musulmans forcés de vendre de l’alcool et des cigarettes
Urumqi, 7 mai 2015 (Apic) Les restaurants et commerces d’un village de la province chinoise du Xinjiang, à forte population musulmane, ont reçu l’ordre de proposer à la vente alcool et cigarettes. La mesure est exécutoire depuis le 1er mai, rapporte Radio Free Asia (RFA). D’après le média américain, les autorités considèrent qu’un musulman ouïghour non fumeur adhère à «une forme d’extrémisme religieux» et présente donc un danger potentiel.
Non seulement les restaurateurs et les commerçants du village de Laskuy doivent vendre un minimum de cinq marques différentes d’alcool et de cigarettes, mais ils doivent en plus en faire la promotion par des panonceaux bien visibles, rapporte le 6 mai 2015 Eglises d’Asie (EdA), l’agence d’information des Missions Etrangères de Paris. Ceux qui ne se conformeront pas à ce nouveau règlement verront leur boutique fermée, leur licence révoquée et seront poursuivis en justice, précise l’édit municipal.
D’après RFA, le Comité du Parti communiste de Laskuy indique que l’ordre de vente obligatoire vient des échelons supérieurs [du Parti] et vise «à mieux servir le public». Adil Sulayman, secrétaire du Parti, a été plus explicite auprès de la radio américaine, précisant que le règlement s’inscrivait dans «une campagne visant à affaiblir la religion dans la région».
Répression et attentats
Au Xinjiang, province de l’extrême nord-ouest chinois, les populations turcophones et musulmanes, les Ouïghours notamment, ressentent de plus en plus vivement la politique de sinisation forcée menée par Pékin, affirme EdA. Selon les statistiques gouvernementales chinoises, les Ouïghours représentaient 75% de la population du Xinjiang en 1953. Le recensement de 2010 indique qu’ils sont devenus minoritaires et ne forment plus que 46% de la population de la province.
Ces deux dernières années, les attentats et les actions violentes se sont multipliées, les autorités chinoises répondant à cette situation par une répression tous azimuts. Toute revendication identitaire, quelle soit culturelle ou religieuse, est systématiquement présentée par le gouvernement comme obéissant à une visée «séparatiste» ou «terroriste». Les campagnes «Frapper fort» se succèdent, ainsi que les messages censés décrire les comportements caractérisant un extrémiste religieux, au nombre desquels, le fait de cesser de boire et de fumer, de refuser de boire un verre avec des amis, ou bien encore de refuser d’ouvrir son restaurant ou son magasin durant le Ramadan, le mois de jeûne musulman.
Encadré
Les autorités chinoises «à côté de la plaque»
Interrogé par le Washington Post, l’universitaire James Leibold, spécialiste des questions ethniques en Chine à l’Université La Trobe de Melbourne, en Australie, estime qu’en matière de lutte contre l’extrémisme religieux, les autorités chinoises «sont souvent à côté de la plaque». Un très sérieux manque de compréhension de la situation les amène à se concentrer sur ce qu’elles perçoivent comme les éléments visibles, mais très imprécis, de radicalisation, tels que le port de la barbe, du voile ou l’abstinence d’alcool. Il en résulte «un délit de faciès ethno-culturel». Le professeur estime que «ces réflexes et les politiques qui en découlent ne font qu’enflammer les tensions ethniques sans prendre en compte les causes de l’extrémisme religieux. Ils contribuent à aliéner les membres de la communauté ouïghoure, en exacerbant le sentiment qu’ils ne sont pas les bienvenus dans une société qui leur est hostile et dominée par les Chinois Han (qui composent près de 90% de la population, ndr.)». (apic/eda/ag/rz)