Rome: Présentation de «Centesimus annus», la (020591)
nouvelle encyclique sociale de Jean Paul II
Nouvel élan pour la doctrine sociale de l’Eglise
Pas un blanc-seing pour le capitalisme
Rome, 2mai(APIC) La crise du marxisme n’élimine pas du monde les situations d’injustice et d’oppression, spécialement dans le Tiers-Monde, et les
phénomènes d’aliénation humaine dans les pays les plus avancés, affirme le
pape Jean Paul II dans son encyclique sociale «Centesimus annus», rendue
publique jeudi. Ainsi, pour l’Eglise catholique, la chute du communisme qui la réjouit profondément – n’en est par pour autant un blanc-seing en
faveur du capitalisme. Portant la date du 1er mai, «fête de saint Joseph
travailleur», la nouvelle encyclique était présentée jeudi à la presse au
Vatican par le cardinal Roger Etchegaray, président du Conseil pontifical
«Justice et Paix» et Mgr Jorge Maria Mejia, vice-président dudit Conseil.
Même s’il ne renvoie pas dos à dos communisme et capitalisme et s’il reconnaît «le rôle fondamental et positif de l’entreprise, du marché, de la
propriété privée et de la responsabilité qu’elle implique dans les moyens
de production», Jean Paul II estime cependant que le capitalisme doit être
encadré par un contexte juridique ferme qui met la liberté dans le domaine
économique au service de la liberté humaine intégrale. L’Eglise reconnaît
«le rôle pertinent du profit comme indicateur du bon fonctionnement de
l’entreprise», mais pense que le marché doit être «dûment contrôlé par les
forces sociales et par l’Etat, de manière à garantir la satisfaction des
besoins fondamentaux de toute la société».
L’Eglise ne propose pas de modèle tout fait
Pas de blanc-seing donc pour le «capitalisme triomphant», mais un appel
à la participation, à la responsabilité et à la solidarité humaine et un
rappel que «la propriété privée n’est pas une valeur absolue» et reste soumise au principe de la «destination universelle des biens de la terre».
Une «relecture» de l’encyclique de Léon XIII «Rerum novarum»
Le pape propose dans ce nouveau document une «relecture» de l’encyclique
de Léon XIII «Rerum novarum», qui avait beaucoup contribué à la prise de
conscience dans l’Eglise et dans la société de l’urgence de résoudre la
«question ouvrière». Mais le pape ne se penche pas nostalgiquement sur le
passé dans son document de quelque 120 pages : il veut surtout se tourner
vers l’avenir et, rejetant le libéralisme et le marxisme, le capitalisme
«sauvage» et le «socialisme réel», inviter les hommes à construire un monde
de justice et de paix, obéissant à la vérité de Dieu.
La doctrine sociale de l’Eglise «n’est pas facultative»
Cette neuvième encyclique de Jean Paul II – sa troisième encyclique sociale après «Laborem exercens» et «Sollicitudo rei socialis» – donne un
nouvel élan à l’enseignement social chrétien et souligne sa pertinence à la
veille du 3e millénaire de l’ère chrétienne. «Rerum novarum» a donné naissance à ce qu’on a appelé la «doctrine sociale de l’Eglise», que les papes
n’ont cessé de préciser depuis et que Jean Paul II, dans «Centesimus annus», situe dans le cadre de la «nouvelle évangélisation». Pour Jean Paul
II, «la doctrine sociale a par elle-même la valeur d’un instrument d’évangélisation», et comme le rappelle le cardinal Etchegaray, elle n’est pas
«facultative» pour les chrétiens, «mais fait partie intégrante de la conception chrétienne de la vie».
Le pape souligne que l’Eglise n’a pas de modèle proprement dit à proposer. Il présente cependant «comme orientation intellectuelle indispensable»
la doctrine sociale de l’Eglise, qui reconnaît le caractère positif du marché et de l’entreprise, mais souligne en même temps la nécessité de leur
orientation vers le bien commun. A ceux qui sont à la recherche d’une authentique libération, l’Eglise offre donc sa doctrine sociale et son enseignement sur la personne, rachetée par le Christ, mais aussi son engagement et sa contribution pour combattre la marginalisation et la souffrance.
Condamnant un certain type de socialisme – ce que l’encyclique nomme le
«socialisme réel» ou communisme – qui abolit toute propriété privée et instaure le collectivisme, le pape voit dans ce modèle une «erreur fondamentale» de type anthropologique. L’individu y est réduit au rôle de simple élément, de «molécule du système social».
Une erreur sur la nature de la personne humaine et de la société
La première cause de cette erreur sur la nature de la personne humaine
et de la société est, selon Jean Paul II, l’athéisme : «La négation de Dieu
prive la personne de ses racines et, en conséquence, incite à réorganiser
l’ordre social sans tenir compte de la dignité et de la responsabilité de
la personne». De cette même racine, l’athéisme, découle le choix des moyens
d’action condamnés déjà par «Rerum novarum», à savoir la «lutte des classes» prônée par le marxisme.
Le pape ne condamne cependant pas tout conflit social et toute lutte et
encourage les syndicats et organisations de travailleurs qui défendent
leurs droits et leur dignité. L’encyclique «Laborem exercens» a reconnu
clairement le rôle positif du conflit quand il prend l’aspect d’une «lutte
pour la justice sociale». Pourrait-il en être autrement de la part d’un pape d’origine polonaise qui a tant soutenu la lutte de «Solidarnosc», une
lutte syndicale et politique qui n’a pas peu contribué à la chute du système communiste en Europe de l’Est en 1989 ? Mais cette lutte s’est faite de
façon pacifique, «avec les seules armes de la vérité et de la justice»,
alors que selon le marxisme, c’est seulement en poussant à l’extrême les
contradictions qu’on peut les résoudre dans l’affrontement violent.
Nécessité d’un vaste travail éducatif et culturel et de critères moraux
Si le «socialisme réel» semble bien enterré, l’économie libérale n’est
pas exempte de critiques quand elle prétend s’affranchir de la morale: elle
finit en effet par mettre en oeuvre ses capacités d’innovation de manière
unilatérale et inappropriée. Et le pape de dénoncer la drogue et la pornographie ainsi que les abus de la société de consommation, «exploitant la
fragilité des faibles et cherchant à remplir le vide spirituel», un style
de vie orienté plus vers l’avoir que vers l’être. L’aliénation avec la
perte du sens authentique de l’existence est une réalité dans les sociétés
occidentales.
La conséquence de ce comportement de consommation désordonnée des ressources de la terre est la «destruction insensée du milieu naturel», résultat également d’une «erreur anthropologique» : l’homme oublie de remplir
son rôle de collaborateur de Dieu dans l’oeuvre de la création et veut luimême se substituer à Dieu. Il finit ainsi par provoquer la révolte de la
nature tyrannisée. Et le pape de dénoncer une destruction encore plus grave, celle du «milieu humain». Il prône une «écologie humaine» dont la
première structure fondamentale est la «famille fondée sur le mariage»,
«sanctuaire de la vie». D’où la condamnation des manipulations génétiques,
de l’avortement et des campagnes systématiques contre la natalité, «fondées
sur une conception faussée du problème démographique».
Les dangers d’une démocratie sans valeurs
Dans l’avant-dernier chapitre consacré à l’Etat et à la culture, Jean
Paul II affirme que l’Eglise apprécie le système démocratique et l’Etat de
droit, basés sur une conception correcte de la personne humaine. Il regrette cependant que l’on tende à affirmer aujourd’hui que l’agnosticisme et le
relativisme sceptique représentent la philosophie et l’attitude fondamentale accordées aux formes démocratiques de la vie politique : «Une démocratie
sans valeurs se transforme facilement en un totalitarisme déclaré ou sournois, comme le montre l’histoire».
Jean Paul II, concluant son encyclique avec le chapitre «L’Homme est la
route de l’Eglise», souligne que le message social de l’Eglise sera rendu
crédible «par le témoignage des oeuvres plus encore que par sa cohérence et
sa logique internes». C’est de cette conviction que découle son engagement
pour la promotion de la justice sociale et son «option préférentielle pour
les pauvres, qui n’est jamais exclusive ni discriminatoire à l’égard d’autres groupes». Un vaste chantier sur lequel Jean Paul II invite les chrétiens à travailler ! (apic/be)