Birmanie: Deux ans de prison pour avoir «insulté Bouddha»
Naypyidaw, 18 mars 2015 (Apic) Le gérant néo-zélandais d’un bar de Rangoun, la plus grande ville de Birmanie, ainsi que ses deux collègues birmans ont été condamnés, le 17 mars 2015, à deux ans et demi de prison ferme avec travaux forcés pour «insulte à la religion». Ils avaient mis en ligne une affiche publicitaire représentant Bouddha avec des écouteurs sur les oreilles.
Le verdict intervient plus de trois mois après l’arrestation des trois hommes, le 11 décembre dernier, au lendemain de la mise en ligne de l’affiche, rapporte Eglises d’Asie (EdA), l’agence d’information des Missions Etrangères de Paris. Phil Blackwood, propriétaire du VGastro-Bar et de ses deux gestionnaires birmans, Tun Thurein et Htut Ko Ko Lwin, ont été arrêtés à la suite de plaintes d’associations bouddhistes contre une affiche publicitaire postée sur leur page Facebook. Leur établissement n’était ouvert que depuis fin novembre 2014.
Sous la pression des bouddhistes extrémistes
L’objet du délit: l’image d’un bouddha stylisé, avec des écouteurs sur les oreilles, sur fond de couleurs psychédéliques, assortie de la mention Buddha Bar, afin de faire la promotion d’une prochaine soirée dans leur bar-discothèque. Une image tout à fait dans l’esprit de la célèbre chaîne branchée des Buddha Bar, mais qui a immédiatement déclenché une avalanche d’insultes et de menaces sur les réseaux sociaux à l’encontre des «profanateurs du bouddhisme».
Ces derniers, malgré le retrait de l’image controversée quelques heures après sa publication et des excuses publiques, se sont vite retrouvés dépassés par l’ampleur des protestations. Les trois hommes ont été arrêtés sous les imprécations d’une foule en colère menée par les moines bouddhistes de l’extrémiste Association pour la Protection de la Race et de la Religion (APRR). L’organisation est également connue sous le nom de Ma-Ba-Tha, et est étroitement liée au mouvement extrémiste nationaliste 969 du moine Wirathu.
Méconnaissance culturelle
Phil Blackwood et ses deux associés eurent beau plaider non-coupables, assurant n’avoir jamais voulu offenser qui que ce soit ni aucun groupe religieux et n’avoir agi que par méconnaissance de la culture et de la religion du Myanmar, ils n’ont pu éviter la prison ferme.
L’avocat de Phil Blackwood, Me Mya Thwe, a déclaré que le trio avait été reconnu coupable en vertu des articles 295 (a) et 188 du Code pénal birman. Le premier sanctionne «la destruction ou la profanation des lieux ou des objets sacrés avec intention de nuire ou la connaissance du fait que l’acte pourrait blesser la sensibilité religieuse d’autrui». Le second punit «la désobéissance à un ordre émis par un fonctionnaire». Il s’agirait dans ce dernier cas des heures d’ouverture du VGastro Bar, qui auraient dépassé les horaires autorisés.
Une démocratie qui se fait attendre
«Le verdict d’aujourd’hui porte un nouveau coup à la liberté d’expression en Birmanie», a déclaré Rupert Abbott, directeur adjoint du programme Asie-Pacifique d’Amnesty International.
Que ces trois hommes aient fait montre d’une grande méconnaissance de la culture et de la sensibilité religieuse du pays est une évidence, a souligné Phil Robertson, directeur adjoint pour l’Asie de l’ONG Human Rights Watch. «Mais il n’y a rien dans ce qu’ils ont fait qui puisse mériter d’être conduits devant un tribunal et encore moins d’être envoyés en prison», s’est-il indigné. «Tout ce que cette affaire démontre, c’est que la liberté d’expression est plus que jamais menacée en Birmanie, juste au moment où le pays entre dans une période charnière de son histoire avec les prochaines élections [prévues à la fin de l’année 2015]», a-t-il ajouté. (apic/eda/rz)