Les violences perpétrées par Daech et al-Qaïda ont mis l'islam en crise
Minya, 6 mars 2015 (Apic) «Nous menons un dialogue avec les musulmans les plus modérés, qui sont particulièrement choqués par les crimes des terroristes de Daech (»L’Etat islamique» EI, ndlr), qui ont récemment décapité 21 travailleurs coptes en Libye. Ces partenaires de dialogue ne sont pas des ‘libéraux’, mais ils refusent la violence». Mgr Botros Fahim Awad Hanna a déclaré à cath-info qu’il reste encore «tout à faire» dans les relations entre chrétiens et musulmans en Egypte.
L’évêque copte catholique de Minya, en Haute-Egypte, note que les violences perpétrées par Daech et al-Qaïda ont mis l’islam en crise, mais que désormais des voix dissidentes se font entendre. Il cite notamment des journalistes comme Ibrahim Issa ou Islam El Behery, qui osent s’en prendre aux interprétations de l’islam imposées par Al-Azhar. Mgr Botros relève que pour une meilleure compréhension mutuelle, il faut avant tout travailler à la base, dans les villages et dans les quartiers.
«Grâce à l’ONG TA’ALA, une organisation qui rassemble chrétiens et musulmans, et qui bénéficie du soutien du Catholic Relief Services (CRS), la Caritas de l’Eglise catholique des Etats-Unis, nous avons pu mettre en place ce dialogue. On travaille avec les leaders des villages, notamment en ouvrant il y a quelques mois un dispensaire ouvert à tout le monde, avec un médecin chrétien et un autre musulman. Cela montre que l’on peut vivre ensemble».
Fort d’un doctorat en Ecriture Sainte obtenu à Rome en 2001, né le 3 juillet 1961 dans le village de Towa, près de Minya, Anba Boutros Fahim est un jeune évêque très dynamique et il ne mâche pas ses mots. Il se veut cependant optimiste, car il voit une nette évolution du discours sur la religion musulmane en Egypte, où la parole sur le sujet était auparavant monopolisée par Al-Azhar, principale institution du monde sunnite basée au Caire.
L’institution d’Al-Azhar accusée de ne pas en faire assez contre la violence
«S’ils ne s’en prennent pas directement au Coran, des journalistes, sur des télévisions privées, ne se privent plus de critiquer Al-Azhar, accusée de ne pas en faire assez contre la violence, de continuer à diffuser parmi les étudiants certains manuels incitant à la violence contre les non musulmans».
Ces journalistes, comme Ibrahim Issa ou Islam El Behery, osent critiquer la transmission des hadiths (des paroles et actions attribuées au Prophète, qui ne sont pas des paroles divines, ndlr). Cela est tout à fait nouveau!» Les Frères musulmans, qui sont toujours très présents à Al-Azhar, «font actuellement profil bas, car après avoir perpétré tant d’actes de violences, ils sont sous la surveillance de toute la population, pas seulement de la police!»
Des sources islamiques pour justifier les crimes les plus atroces
Les sympathisants de «l’Etat islamique» (EI) puisent en effet dans certaines sourates du Coran la justification de l’usage de la violence. Sur la chaîne de tv privée ONtv (http://ontveg.com), le journaliste Ibrahim Issa n’a pas hésité, le 3 février 2015, à dire que les crimes barbares perpétrés par Daech étaient de fait basés sur des sources islamiques, mais que les religieux avaient peur de le dire.
«Chaque fois que l’EI commet des actes de barbarie, tels que décapiter, égorger ou brûler vive une personne, comme ils l’ont fait aujourd’hui, différents cheikhs déclarent – lorsqu’ils prennent la peine de s’exprimer – que cela n’a rien à voir avec l’islam, que l’islam n’est pas en cause, etc. Pourtant lorsque les membres de l’EI massacrent, assassinent, violent, immolent et commettent tous ces crimes barbares, ils affirment se fonder sur la charia. Ils déclarent que leurs actes sont fondés sur un certain hadith, sur un chapitre du Coran, sur une affirmation d’Ibn Taymiyyah ou sur une source historique. Il faut dire la vérité: tout ce que dit l’EI est exact».
Le commentateur relève que toutes les preuves et les références qu’apporte l’EI, affirmant qu’elles peuvent être trouvées dans les livres d’histoire, de jurisprudence et de droit, s’y trouvent effectivement, «et celui qui dira le contraire commet un mensonge!» Et Ibrahim Issa de regretter qu’aucun des cheikhs d’Al-Ahzar prétendument modérés n’a eu le courage de reconnaître que ces choses se trouvent effectivement dans les sources islamiques et qu’elles sont moralement erronées. «Lorsqu’on prétend qu’un certain Compagnon du Prophète a fait ceci ou cela, vous devez répondre qu’il était moralement dans l’erreur. J’aimerais bien voir un seul cheikh d’Al-Ahzar avoir le courage de reconnaître qu’Abou Bakr [le premier calife] a brûlé vif un homme. C’est vrai. Il a brûlé Fuja’ah Al-Sulami. C’est un épisode historique bien connu. (…) Ne dites pas que l’islam n’a rien à voir avec cela!»
Si le sous-secrétaire d’Al-Azhar, Abbas Shouman, assure que l’institution qu’il dirige a déjà commencé une réforme de l’enseignement dans les facultés de l’Université d’Al-Azhar, ainsi que du discours religieux des prédicateurs et des imams dans les mosquées «afin que cesse l’enseignement de concepts religieux déviant de l’authentique foi musulmane», il y a encore loin de la coupe aux lèvres.
L’institution d’Al-Azhar est appelée à changer l’actuel discours religieux
Début janvier, le président Abdel-Fattah Al-Sissi a appelé Al-Azhar à «corriger l’image de l’islam», rapporte pour sa part le journal égyptien francophone «Al-Ahram Hebdo». Selon Sameh Eid, membre dissident des Frères musulmans, des centaines de professeurs et d’assistants dépendant de la confrérie sévissent au sein de l’Université d’Al-Azhar . Pour lui, les écarter est loin d’être évident, l’institution d’Al-Azhar étant historiquement infiltrée par les Frères.
«L’enseignement d’Al-Azhar est basé sur des études dures, strictes et il interdit aux étudiants toute critique. De même, Al-Azhar ne reconnaît que les interprétations de la charia des quatre premiers siècles de l’islam et refuse tout esprit critique de ces interprétations», insiste Sameh Eid. «Si le président Al-Sissi veut sérieusement changer le discours religieux, il doit fermer l’université jusqu’à ce que soit faite une vraie réforme du contenu et de la méthode d’enseignement et qu’il ouvre la porte aux autres universités, comme celle du Caire, pour qu’elles possèdent des sections qui enseignent la charia d’une façon plus ouverte, basée sur les débats et la transmission des idées». (apic/ahram/be)