Brésil : 10e anniversaire de l'assassinat de Soeur Dorothy Stang
Anapu, 14 février 2015 (Apic). Dans la chaleur humide de la forêt amazonienne, un demi-millier de fidèles ont rendu hommage à la mémoire de Soeur Dorothy Stang, 10 ans après son assassinat par des grands propriétaires terriens, le 12 février 2005. L’occasion également pour les petits paysans que la religieuse a accompagnés pendant de longues années d’alerter les autorités sur l’absence de l’État et la précarité de leur situation.
La cérémonie a débuté dans un profond recueillement observé par les centaines de personnes massées sous l’immense auvent du Centre de Formation Saint Rafaël, à quelques dizaines de mètres de la tombe où repose la religieuse. La cérémonie a été présidée par Mgr Erwin Kräutler, évêque du Xingu, dans l’État du Para, lui-même accompagné de huit prêtres, dont le Père Amaro, curé de la paroisse d’Anapu. Au-dessus des tentures dressées pour l’occasion, un écran projetait des images de la religieuse tuée de 12 février 2005 à 7h30 par deux pistoléros à la solde de grands propriétaires terriens de la région.
Après un rappel de la trajectoire et de l’engagement de la religieuse américaine auprès des plus pauvres et pour le respect de l’environnement, Felício Pontes, le procureur de la République pour l’État du Para, a évoqué les dix ans écoulés depuis l’assassinat de Soeur Dorothy. Il a d’abord convenu qu’il avait craint un temps que la mort de Soeur Dorothy se révèle vaine. Mais il a ensuite martelé, devant une assistance convaincue, que la religieuse continuait à être vivante dans l’esprit du peuple. Des paroles spontanément reprises par les fidèles et Mgr Erwin Kräutler lui-même.
L’évêque a ensuite évoqué les rapports d’amitié qu’il entretenait avec la religieuse. « Elle m’avait demandé d’être affectée dans le lieu le plus pauvre de la prélature, a-t-il assuré. Sa force et son humilité étaient des exemples pour nous tous. Et je me souviens que le jour de son enterrement, ceux et celles qui étaient présents étaient ceux qu’elles aimaient le plus: les gens du peuple. Une semaine avant son assassinat Soeur Dorothy se sachant menacée de mort, lui avait déclaré: «Je n’ai pas le droit de fuir et de laisser ces gens tout seul face aux puissants.»
Une réunion et de multiples doléances
Après un déjeuner communautaire, concocté symboliquement avec les produits du Projet de Développement Durable (PDS) Esperança, que la religieuse avait créé avec 300 paysans sans terre bénéficiant chacun d’un lot de 100 hectares au nom de la Réforme Agraire, une réunion extraordinaire du Comité pour le Développement d’Anapu (CDA) a été organisée l’après-midi sur les lieux même de la cérémonie religieuse. Au programme ? Faire le bilan, en présence de plus de 300 petits paysans, des besoins en termes d’infrastructures, pour que le PDS Esperança deviennent viables pour les paysans qui y vivent.
En présence d’un représentant de l’Institut National pour la Réforme Agraire (INCRA), les représentants des habitants du PDS Esperança ont d’abord rappelé que 700 familles étaient encore en attente d’une terre dans la région d’Anapu. Une situation d’autant plus intenable que de nombreuses surfaces cultivables appartenant à l’État sont encore aujourd’hui illégalement occupées par de grands propriétaires terriens. Mais les problèmes existent aussi pour ceux qui ont eu la «chance» d’obtenir une terre dès 2003.
Sans route, pas de survie
Car depuis 12 ans, quasiment aucune des promesses de créations d’infrastructures pourtant inhérentes à l’attribution d’une terre dans le cadre de la Réforme Agraire n’a été honorée. A part l’école, rien n’a été fait, a rappelé le Père Amaro. Un poste de santé a bien été bâti, mais il est fermé faute de budget pour payer le personnels soignant !» Même chose pour les écoles. «Si l’on s’en tient aux promesses de l’État, 36 écoles auraient dû être construites dans avant la fin 2014, explique une habitante du PDS Esperança. Mais on en est très loin. A ce jour, si la construction de certaines écoles a effectivement commencé, aucune n’est terminée.»
D’autres requêtes ont été représentées, comme l’absence de la mise en service effective du programme «Luz para todos» (Lumière pour tous, un programme national d’accès à l’énergie électrique à des tarifs abordables pour les plus démunis). Mais le pire reste l’absence de route goudronnée permettant de relier les 53 kilomètres qui séparent Anapu du PDS Esperança. «Cette route est la priorité ont rappelé les représentants des paysans du PDS. Car si nous ne pouvons pas acheminer notre production agricole pour la vendre, nous ne pourrons pas survivre.» Des demandes que le représentant de l’INCRA a noté, promettant de les faire parvenir à ses responsables, à Brasilia. Sans vraiment convaincre l’assistance. (apic/jcg/mp)