La statue du missionnaire espagnol Junipero Serra, au Capitole (Photo:mrgarethm/Flickr/CC BY 2.0)
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Washington: Le nouveau saint du pape François éjecté du Capitole?

Washington, 11 février 2015 (Apic) Le sénateur californien Ricardo Lara a proposé que la statue de Junipero Serra, l’évangélisateur controversé de la Californie -que le pape doit canoniser lors de son prochain voyage aux Etats-Unis- soit retirée du Capitole de Washington, le siège du Parlement américain.

La décision du pape François, en janvier dernier, de canoniser le Frère Junipero Serra a suscité la controverse parmi les descendants des peuples indigènes de Californie. Selon eux, le missionnaire espagnol du XVIIIe siècle, considéré comme ›le père de la Californie’ est responsable de la destruction de leur culture et de la mort prématurée de milliers d’autochtones. Le sénateur américain a proposé de remplacer la statue «controversée» par celle d’une personnalité plus consensuelle, rapporte le 11 février l’agence d’information américaine Catholic News Agency (CNA).

Le bienheureux Junipero Serra sera canonisé en septembre lors du voyage du pape aux Etats-Unis pour la Rencontre mondiale des familles à Philadelphie. Le religieux franciscain a introduit le christianisme en Californie, au début du XVIIIe siècle. Il est aussi un héros de la nation américaine. Il est en effet le seul Espagnol à figurer dans la galerie des statues du Capitole, où sont représentées les personnalités les plus célèbres de la nation.

Le christianisme imposé sans aucun choix

Les premières réactions des descendants des peuples indigènes de Californie ont été défavorables à cette canonisation. «J’attendais beaucoup de ce pape connu pour ses positions sur la justice sociale» a déploré Deborah Miranda, professeur de littérature américaine et descendante de la nation indienne Ohlone Costanoan Esselen. Selon elle, le christianisme a été imposé sans aucun choix causant des dommages incalculables à toute une culture.» Cette critique n’est pas isolée. Le ›Los Angeles Times’ a ouvert une page de discussion invitant les lecteurs à commenter la canonisation. «Si Serra est proclamé saint, nous devrons mettre sur la table les plaintes déposées pour le traitement mortel et brutal des Indiens d’Amérique», estime Nicole Lima, directrice du Centre Culturel et du Musée indien de Santa Rosa et membre de l’ethnie Pomo.

Pour Steven Hackel, historien à l’Université de Californie, Serra «était un homme de son temps». Il considérait les peuples indigènes comme incapables de se gouverner eux-mêmes. «Les franciscains pensaient qu’ils étaient obligés de prendre des décisions pour eux».

Des dizaines de milliers de morts d’épidémies

Né à Majorque, Junipero Serra a rejoint l’ordre franciscain en 1730. Professeur de théologie, il a quitté le confort de l’enseignement dans la péninsule pour rejoindre une mission vers le Nouveau Monde. Sa mission a été un succès. Entre 1769 et 1835, plus de 90’000 Indiens ont été baptisés le long de la côte ouest entre San Diego et San Francisco. Mais une fois baptisés, les Indiens convertis étaient pratiquement prisonniers dans les missions. Ceux qui s’échappaient étaient poursuivis par des soldats et ramenés de force.

Les indigènes baptisés furent également contraints d’abandonner leur langue, leur costume traditionnel, leur nourriture, leurs coutumes matrimoniales. Ils furent également exposés à des épidémies importées d’Europe contre lesquelles ils n’étaient pas immunisés et moururent par dizaines de milliers. Sur les quelque 310’000 indigènes vivant en 1769 dans ce qui est aujourd’hui la Californie, il n’est restait qu’un sixième cent ans plus tard.

Une instrumentalisation anti-catholique?

Mgr Francis J. Weber, spécialiste de l’histoire missionnaire du 18e siècle défend toutefois le travail du futur saint, notamment son œuvre de développement de la région. «La Californie d’aujourd’hui lui doit beaucoup. Il en a établi les fondations», affirme l’historien. Il explique qu’il était très apprécié par les Amérindiens, qui ont beaucoup pleuré sa disparition. Saint Jean Paul II, qui a béatifié Junipero Serra en 1988, a salué le missionnaire comme le «défenseur et champion» des peuples indigènes.

«Beaucoup d’accusations ont émergé contre Junipero Serra, note Mgr Weber, mais pas une seule d’entre elles n’a pu être validée par un historien sérieux». Il remarque notamment que le missionnaire a parcouru en grande partie à pied la route menant de la Californie à Mexico City alors qu’il souffrait d’une tumeur à la jambe qui le faisait atrocement souffrir, dans le seul but de défendre un projet de loi en faveur des indigènes. Il note également les efforts du Père Serra pour intégrer le christianisme à la culture autochtone. A cet égard, le missionnaire est connu pour avoir fait traduire la Bible dans une trentaine de langues locales.

L’historien rejette également les allégations de conversions forcées de la part du missionnaire. «Parmi les très nombreux cas que j’ai étudiés, je n’en ai pas trouvé un seul dans lequel un missionnaire ait forcé un indien à se convertir», note Mgr Weber.

Mgr Weber est persuadé que les critiques de Junipero Serra instrumentalisent sa figure historique pour attaquer de façon plus globale le travail d’évangélisation de l’Eglise. (apic/religion digital/cna/mp)

La statue du missionnaire espagnol Junipero Serra, au Capitole
11 février 2015 | 17:29
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture : env. 3  min.
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