Brésil: «Nous n’avons pas enterré Soeur Dorothy, nous avons planté une graine»
Anapu, 11 février 2015 (Apic) Le 12 février 2015 sera célébré à Anapu, en plein coeur de l’Amazonie brésilienne, le 10ème anniversaire de l’assassinat de Soeur Dorothy Mae Stang, la religieuse américaine abattue par des grands propriétaires terrien. L’occasion de découvrir ce qu’il reste aujourd’hui de son combat pour la défense de la forêt.
Il règne une effervescence inhabituelle sous le préau central du centre de formation Sao Rafaël, d’Anapu, en plein cœur de l’Amazonie brésilienne. A quelques dizaines de mètres à peine de la tombe immaculée de Soeur Dorothy Stang, entourée de majestueux châtaigniers du Para, des ouvriers, juchés sur des échelles, s’affairent, marteaux à la main, pour dresser de longs pans de tissu blanc. «C’est ici que, le 12 février, nous allons commémorer le 10ème anniversaire de l’assassinat de Soeur Dorothy, indique le Père Amaro qui supervise la mise en place. Le matin, Mgr Erwin Kräutler, évêque d’Altamira, célèbrera la messe durant laquelle sept jeunes feront également leur confirmation. Ensuite, un déjeuner communautaire regroupera plusieurs centaines de personnes, en particulier les habitants du Projet de Développement Durable Esperança que Dorothy a créé et porté à bout de bras jusqu’à sa mort. Et enfin, nous avons programmé un débat avec des représentants des autorités municipales, de l’état du Para et de l’administration fédérale.» Même si pour l’heure, il n’y a pas encore peu de confirmations.
Il y a dix ans, le 12 février 2005, Sœur Dorothy Mae Stang, une religieuse américaine, était assassinée de six balles dans le corps par deux hommes de main mandatés par de grands propriétaires terriens. Elle se rendait au Projet de Développement Durable (PDS) Esperança, un campement de petits agriculteurs situé à une cinquantaine de kilomètres d’Anapu, une commune du Sud de l’état du Pará, au cœur de l’Amazonie Brésilienne. Née en 1936, dans l’état de l’Ohio, la religieuse appartenait à la Congrégation des sœurs de Notre Dame de Namur. «Elle avait décidé, dans les années 1970, de venir vivre en Amazonie pour y partager son existence avec les paysans les plus démunis et les aider à faire respecter leurs droits face à l’omnipotence des grands propriétaires terriens qui occupent le plus souvent illégalement des terres appartenant à l’État», se souvient Soeur Jane Dwyer, une autre religieuse américaine qui travaillait avec Sœur Dorothy. «Cette détermination lui avait valu de nombreuses menaces de mort.» Mais aussi le respect des petits paysans du PDS Esperança.
Cultiver en respectant la forêt
C’est le cas d’Antonia, la soixantaine souriante, l’une des premières à s’être installées, avec son époux et ses enfants, sur un lot de 100 hectares. «Soeur Dorothy paraissait toute fragile, mais c’était un être d’une foi, d’une force et d’une détermination incroyables», se souvient elle. Y compris lorsqu’elle allait à Brasilia, la capitale, pour y rencontrer les responsables de l’INCRA (Institut National de la Colonisation et de la Réforme Agraire) afin de leur demander d’appliquer la loi, en attribuant à des paysans sans terre un lot de 3’000 hectares appartenant à l’État, mais occupées depuis des décennies illégalement par de grands propriétaires terriens de la région. Une détermination qui porté ses fruits, puisque, en 2003, le «rêve» se réalise… néanmoins assorti d’une obligation. «Nous ne pouvons cultiver que 20% de la terre et devons laisser 80% de la forêt sur pied, précise Antonia. Soeur Dorothy était très attachée au respect de la loi. Mais elle était également persuadée que cela était viable et croyait beaucoup à l’économie sociale et à l’agro écologie pour pouvoir vivre dignement de cette terre.» Sauf que l’attribution d’une terre n’est qu’un premier pas.
«Une fois que le titre de propriété collectif est délivré, l’obligation de l’Etat est de construire des logements, une école, un poste de santé, de goudronner la route et de raccorder la communauté au réseau électrique», souligne le Père Amaro. Mais dix ans après sa création, rien de tout cela, à part l’école, n’existe à Esperança. «Il y a deux ans, nous avons même été obligés de barrer la route qui relie ce campement de paysans à la Transamazonienne pour empêcher les forestiers de retirer illégalement du bois», souligne le prêtre. Un trafic qui a créé des tensions au sein même de la communauté. «Car parmi les familles, certaines se plaignent de ne pas vivre décemment et n’hésitaient pas à vendre des troncs de six mètres – des essences nobles – pour à peine 100 réais (35 euros)!» Afin d’éviter toute nouvelle extraction de bois illégale, la Police Fédérale a donc décidé de construire, aux deux entrées du lot, des guérites gardées à l’année par des hommes de la Police Militaire Fédérale.
Une commémoration basée sur l’espoir
Ces tensions à l’intérieur du PDS Esperança s’ajoutent au climat d’impunité qui règne toujours à Anapu. «Cinq personnes, auteurs, intermédiaire et mandataires, ont été jugées et condamnées pour ce crime, relève le Père Amaro. Mais aujourd’hui, un seul dort en prison.» En attendant que «justice soit faite», le moment est venu de célébrer la mémoire de la «martyre de la forêt», comme la religieuse américaine est volontiers surnommée. Une commémoration basée sur l’espoir. «Quand nous avons porté en terre Soeur Dorothy, nous avons répété à plusieurs reprises que nous ne l’enterrions pas mais que nous plantions une graine, assure le Père Amaro. Dix ans après, nous voulons célébrer les fruits et les nouvelles graines que ces fruits sont en train de donner. C’est pour cette raison que, durant la messe, des fidèles seront conviés à s’exprimer, chanter et lire des poésies à la mémoire de Soeur Dorothy, mais aussi sur ce qu’elle a laissé comme héritage pour les générations futures.» Des mots et des notes qui planeront au-dessus de sa tombe toute proche. A l’ombre des châtaigniers qu’elle a toujours défendus. (apic/jcg/bb)