Jean-Samuel Grand : Le premier obstacle à l'œcuménisme c'est l'argent!
Lausanne, 21 janvier 2015 (Apic) Le fondateur des éditions ‘Ouverture’ au Mont-sur Lausanne et éditeur de la revue ‘Itinéraires’, Jean-Samuel Grand est un acteur de longue date de l’œcuménisme en Suisse romande. A l’occasion de la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens, il livre sa réflexion sur le mouvement œcuménique. Pour lui le principal obstacle est l’amour de l’argent et le manque de spiritualité.
Apic: Chaque année, la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens à mi-janvier invite à faire le point sur l’œcuménisme. Où en est-il à vos yeux aujourd’hui et quels sont les obstacles sur ce chemin ?
Jean-Samuel Grand: Le premier obstacle c’est l’argent !
Apic: Expliquez-vous.
J.-S. G. : Nos Eglises sont trop riches, trop préoccupées de rendements économiques. Le matériel a pris la place de l’échange. Le besoin de pouvoir a pris la place de la spiritualité. Il faut quitter le monde de l’amour de l’argent, du matérialisme qui véhicule des attentes qu’il ne peut pas satisfaire. On ne peut pas se contenter de cela. C’est le problème de l’institution dont on ne peut cependant pas se passer, mais qu’il faut voir comme une ‘maladie incontournable’. Je rêve d’une Eglise servante et pauvre comme le souhaite le pape François.
Apic: C’est la raison pour laquelle nos Eglises peinent à attirer ?
J.-S. G. : Une partie de l’Eglise meurt parce qu’elle n’a qu’un souci économique. Elle se déshumanise, car la pensée économique libérale qui domine le monde a fini par contaminer les Eglises. L’amour de l’argent est la racine de tous les maux, disait déjà l’apôtre Paul à Timothée. Si nous ne répondons pas à un appel, c’est le début de la destruction. Car face à l’argent, la personne n’existe plus. Pour reprendre l’expression du théologien et penseur protestant Jacques Ellul, il faut ‘profaner’ l’argent. Et pour cela il n’y a qu’une seule possibilité, c’est le don.
Apic: Revenons à la question de l’œcuménisme
J.-S. G. : Cette notion de don est essentielle pour l’œcuménisme car elle se base sur l’idée que l’autre peut m’apporter quelque chose. Qu’il peut contribuer à la qualité de ma vie actuelle et de ma vie dans ce futur qui nous dépasse.
L’institution est là pour rendre témoignage de cette présence unique dont on ne sait pas d’où elle nous vient. Elle doit porter ce mystère qui nous réunit pour ne pas tomber dans tous les mots en ‘isme’. Et tendre vers l’universalité, qui n’est pas l’universalisme, dans l’échange des valeurs.
Apic: Les Eglises chrétiennes partagent déjà beaucoup de valeurs… mais divergent aussi sur d’autres.
J.-S. G. : Nous partageons des valeurs communes dans une sorte d’inconscient collectif social et religieux qui se retrouve dans la spiritualité. L’essentiel est de s’accueillir les uns les autres, sans volonté de convertir l’autre, de se rendre complémentaires. Et de pouvoir en faire l’expérience dans une vie communautaire. Si cette capacité de partage, ce désir de fonder quelque chose ensemble existent, les divergences perdent leur importance. Nous pouvons grandir ensemble sans pour autant nous mélanger.
Apic: Vous plaidez pourtant pour l’intercommunion.
J.-S. G. : La célébration commune est très importante. Je partage pas du tout l’idée selon laquelle les protestants verraient l’eucharistie comme un ‘pique-nique’. Lorsque je communie, je communie au Christ ressuscité car c’est lui qui nous rassemble. Je plaide pour l’intercommunion qui se vit par exemple à ‘Itinéraires’. Elle est nécessaire pour cheminer ensemble vers l’unité visible en respectant la vocation spécifique de chacun. Interdire l’accès à l’eucharistie est désolant. Nous devons nous mettre dans une démarche d’accueil. Lorsque nous accueillons un enfant nous le recevons tel qu’il est, sans lui fixer des exigences impossibles, mais dans l’idée de lui permettre de grandir.
Apic: Grandir, marcher telle est la définition de l’œcuménisme ?
J.-S. G. : L’œcuménisme c’est d’abord aimer l’autre pour être capable de marcher ensemble. L’amour est comme l’air sous les ailes d’un avion. On ne le voit pas, mais il est indispensable. Le chemin doit nous permettre de grandir pour aller vers un monde qui souffre d’un manque de présence, de spiritualité. Il ne faut pas que la théologie nous enferme. L’écrivain Edmond Jaloux avait cette belle formule «l’esprit fait la maison, mais la maison nous enferme.»
Apic: De l’amour, nait le témoignage commun.
J.-S. G. : ‘Dieu donne ce qu’il ordonne’ dit une sentence protestante. L’essentiel est de connaître le sens de ma vie. De savoir ce que je veux ‘remettre dans les mains de l’autre’ selon l’étymologie latine du mot tradition. Dans un monde ou la compétition pousse à vouloir ‘tuer l’autre’, il s’agit au contraire de l’aide à ‘vivre plus’, à être en relation avec ce qui nous dépasse.
Nous vivons dans une société de démesure et le drame de ‘Charlie Hebdo’ en est une bonne illustration. Cette démesure bouche l’horizon de la rencontre. Il faut retrouver ce sens de la mesure qui est universel. La liturgie par exemple est quelque chose de mesuré. Elle laisse la place au sentiment et à l’émotion, mais pas au sentimentalisme. L’émotion est bonne et nécessaire mais elle doit avoir un cadre pour durer. L’émotion ne dure pas, il faut prendre le relais avec l’amour au sens plénier du terme.
Encadré:
La revue «Itinéraires»
La revue œcuménique «Itinéraires» est née il y a une vingtaine d’années pour prendre le relais de «Vie Protestante Hebdo», un organe romand qui cessait de paraître. D’emblée Jean-Samuel Grand et son équipe ont décidé de se tenir hors de toute institution comme gage d’indépendance aussi bien éditoriale que matérielle. Dès le début le caractère œcuménique est affirmé avec la présence au sein du comité de rédaction de protestants, de catholiques et d’orthodoxes et aussi d’hommes et de femmes, insiste Jean-Samuel Grand. «Chacun apporte son lien d’Eglise pour le partager».
Avec son sous-titre «ouverture spirituelle» la revue fait la part belle à la spiritualité et au témoignage. Elle entend ouvrir sur la vie des hommes et ouvrir sur l’Eglise. La connaissance de Dieu ne passe pas seulement par la théologie mais aussi à travers ses témoins. «Dieu ne nous appartient pas mais il faut aller à sa rencontre», relève Jean-Samuel Grand.
«Itinéraires compte aujourd’hui 2’300 abonnés pour un tirage d’environ 7’000 exemplaires distribués dans les divers canaux d’Eglise, paroisses, mouvements etc. (apic/mp)