Saint-Maurice: Près de 1’500 fidèles attendus au 13ème Pèlerinage aux Saints d'Afrique
Rencontre avec l’invité d’honneur, Mgr Arlindo Gomes Furtado, évêque du Cap-Vert
Saint-Maurice/Fribourg, 27 mai 2014 (Apic) Près de 1’500 pèlerins de toute la Suisse et de France voisine sont attendus dans la soirée du samedi 31 mai et la journée du dimanche 1er juin pour la 13ème édition du Pèlerinage aux Saints d’Afrique. Cet événement a lieu traditionnellement à l’Abbaye de Saint-Maurice d’Agaune, en Valais. L’hôte d’honneur de cette année est Mgr Arlindo Gomes Furtado, évêque de Santiago de Cabo Verde, à Praia, capitale de République du Cap-Vert. Les Cap-Verdiens vivant en Suisse se sont fortement mobilisés et ils ont cotisé pour l’inviter au Pèlerinage.
Après la communauté érythréenne l’an dernier, c’est au tour des Cap-Verdiens de Suisse d’organiser, en collaboration avec la Coopération Missionnaire de Suisse, l’édition de cette année, qui a pour thème «Evangile et Paix». Ce pèlerinage rassemble des Africains, des Suisses et des Français (on attend notamment des Cap-Verdiens de Thonon et d’Annemasse) sur le lieu où, selon la tradition, saint Maurice et ses compagnons de la Légion thébaine – venus de l’actuelle Louxor, en Haute-Egypte -, sont morts martyrs vers l’an 300.
Les Cap-Verdiens de Suisse animent le Pèlerinage
Cette année est l’occasion de rappeler la personnalité du missionnaire suisse Aloys Allaz. Ce Père spiritain a travaillé toute sa vie dans ce chapelet d’une dizaine d’îles d’origine volcanique, situées dans l’Océan atlantique, dans la zone sahélienne, au large du Sénégal, de la Gambie et de la Mauritanie. Sa vie sera évoquée comme un modèle de foi vivante. Animé par une dizaine de chorales africaines de Suisse romande (Romont, Moudon, Lucens, Vevey, Lausanne, etc.), le pèlerinage est ouvert aux amis du monde africain. Ils pourront, le samedi soir, entendre, venu de Paris, le conteur professionnel togolais Rogo Koffi Fiangor, au cours d’une soirée de chants, de danses et de contes africains à la salle du Martolet.
Le dimanche 1er juin, les pèlerins se rassembleront à la chapelle des martyrs, à Vérolliez, à deux kilomètres au sud de l’Abbaye de Saint-Maurice d’Agaune. Après les chants, les prières, le martyrologe (liste des témoins de la foi), les témoignages et le pique-nique partagé, les pèlerins partiront dans l’après-midi en grande procession jusqu’à la basilique de l’Abbaye de Saint-Maurice pour y célébrer l’eucharistie «à l’africaine».
Reliques des martyrs d’Ouganda
La châsse en marbre qui s’y trouve contient des ossements des martyrs de la Légion thébaine, mais abrite également depuis 2002 une relique des saints Charles Lwanga et Mathias Mulumba, chrétiens d’Ouganda exécutés par le roi Mwanga en 1886. C’est une des raisons pour laquelle les Africains de Suisse participent nombreux à ce pèlerinage annuel instauré au début de ce millénaire. JB
Interview de Mgr Arlindo Gomes Furtado
Nommé en 2004 premier évêque du diocèse de Mindelo, qui venait d’être créé, Mgr Arlindo Gomes Furtado a été ensuite transféré en 2009 sur le siège de Santiago de Cabo Verde, diocèse fondé en 1533 dans cette colonie qui demeura portugaise jusqu’à son indépendance en 1975.
L’Apic a rencontré l’évêque cap-verdien de 64 ans à l’occasion de son passage à Fribourg, où il visite durant la semaine diverses paroisses du canton. Dans un français parfait, l’évêque nous a présenté sa communauté cap-verdienne.
Quelque 6’000 Cap-Verdiens sont officiellement inscrits au Consulat de la République du Cap-Vert en Suisse, confie Mgr Arlindo Gomes Furtado. Il faut ajouter à ce nombre les Cap-Verdiens de nationalité portugaise. Ces derniers sont ainsi au bénéfice de l’Accord de libre circulation de Schengen. A cela s’ajoute des clandestins, dont l’effectif est difficile à évaluer. Sur une population de près de 530’000 habitants, 77% sont catholiques, déclare celui qui est le 32e évêque de Cap-Vert et le second de nationalité cap-verdienne. Le christianisme est venu avec les Portugais, mais depuis un certain nombre d’années, les sectes protestantes sont également présentes dans les îles.
Apic: Le paysage religieux cap-verdien, traditionnellement catholique, se diversifie…
Mgr Arlindo Gomes Furtado: Il y a chez nous des sectes évangéliques venues du Brésil, qui sont, selon un recensement assez récent, quelque 3%. Les protestants nazaréens, venus des Etats-Unis, sont 5%. On trouve également l’Eglise adventiste du septième jour et les pentecôtistes des Assemblées de Dieu. Les juifs, victimes de persécutions en Espagne et au Portugal, sont présents au Cap-Vert dès le XVIe siècle. Ils se sont implantés au début du peuplement des îles. Il existe d’ailleurs un hameau qui s’appelle Sinagoga, ce qui signifie qu’il y avait là une synagogue. Mais au cours du temps, les juifs se sont assimilés et sont devenus chrétiens. L’ambassade d’Israël a retrouvé des tombes juives et les a fait rénover.
Le Cap-Vert a aussi un certain nombre de «sans religion», ainsi que des musulmans, qui viennent du continent africain. Au sein de la Communauté Economique du Développement des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) existe la libre circulation, ce qui fait que les gens peuvent facilement s’installer chez nous. Nous avons ainsi une population immigrée venant de Guinée-Bissau, du Sénégal, du Nigeria, du Ghana, de Guinée-Conakry, du Mali. Mais nous aussi, nous avons émigré et nous émigrons encore: le Cap-Vert compte 1,5 million d’émigrés, soit trois fois la population vivant dans les îles. Nombreux sont au Portugal, mais on en trouve aussi aux Etats-Unis, en France, en Hollande, au Luxembourg, en Suisse… Certains sont de la 2e ou de la 3e génération, mais ils se considèrent toujours comme Cap-Verdiens. Ils ont un grand attachement à leur pays d’origine.
Apic: Les Cap-Verdiens, au carrefour des continents européen, africain et américain, sont-ils des Africains ?
Mgr Arlindo Gomes Furtado: Le pays connaît effectivement les influences mêlées des trois continents. Nous nous considérons comme des métis – tant du point de vue culturel que biologique – et le fait que nous parlons portugais nous facilite l’intégration à l’extérieur. Alors que le catholicisme des îles a été longtemps très traditionnel, à l’instar du catholicisme populaire portugais, l’Eglise cap-verdienne doit faire face, elle aussi, aux défis de la sécularisation. Ce phénomène est apparu chez nous, comme en Europe, vers la fin des années 60. La Révolution de mai 68 a été le point de départ d’une prise de conscience que les choses changeaient dans le monde.
Apic: La révolution contre le colonialisme portugais était influencée par le marxisme…
Mgr Arlindo Gomes Furtado: Les intellectuels luttaient pour se libérer du colonialisme, mais il n’y a pas eu de combats de guérilla dans les îles, c’était impossible, car il n’y a pas d’endroits où se cacher. C’était une lutte clandestine, un travail idéologique. Les combats contre les Portugais avaient lieu sur le territoire de la Guinée-Bissau.
Après la Révolution des Œillets au Portugal, en avril 1974, nous avons acquis notre indépendance. Le nouveau régime d’inspiration socialiste, qui a duré jusqu’en 1990, subissait les influences de Cuba et de l’URSS.
L’Eglise, qui avait été très liée au système colonial, en a subi des conséquences et en a souffert. Le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), le parti unique (qui devint en 1980 le Parti africain pour l’indépendance du Cap-Vert PAICV après un coup d’Etat en Guinée-Bissau qui amena les deux républiques sœurs à se séparer, ndlr) considérait que l’Eglise avait été complice du régime colonial, et c’était un peu vrai. Les révolutionnaires se méfiaient de l’Eglise, qui aurait pu devenir une opposition plus ou moins ouverte.
Apic: L’Eglise a-t-elle subi des persécutions avec l’arrivée d’un régime socialiste ?
Mgr Arlindo Gomes Furtado: Il n’y a pas eu de véritable persécution, mais certainement une certaine marginalisation, un mépris subtil… Il faut dire que presque tous les agents pastoraux, les missionnaires, étaient à l’époque des étrangers, essentiellement des Portugais et quelques capucins italiens. Il y avait très peu de Cap-Verdiens dans le clergé, et c’était là une grande faiblesse de l’Eglise. Au début de l’indépendance, on sentait la ferveur de la révolution; quelques étrangers sont partis, dont trois missionnaires considérés comme personae non gratae.
Mais par la suite, les choses se sont calmées. Entre-temps, des séminaristes cap-verdiens ont été ordonnés, et les prêtres sont bien acceptés. Ce sont des Cap-Verdiens «corps et âme», ils sont de la «même maison». Le vrai problème des politiciens de l’époque, en ce qui concerne l’Eglise, c’était cette image coloniale qui lui collait à la peau. Fondée par les Portugais en l533, notre Eglise n’a eu son premier évêque autochtone qu’à l’indépendance, c’était Dom Paulino Livramento Evora, un spiritain.
En général, l’Eglise est bien considérée, surtout depuis l’instauration du pluralisme politique et les élections pluralistes de 1991. Depuis cette date, il n’y a plus de conflits idéologiques entre les partis et la démocratie fonctionne. S’il n’y a plus de concordat, un accord juridique a été signé avec le Saint-Siège, et le gouvernement reconnaît l’Eglise et ses institutions, comme la Caritas nationale et ses branches locales.
Apic: L’Eglise s’engage pour le développement…
Mgr Arlindo Gomes Furtado: Grâce à la solidarité d’œuvres d’entraide internationales, comme la Caritas Internationalis, nous pouvons agir pour le développement. Notre pays, qui est en zone sahélienne, connaît souvent des problèmes de sécheresse. Dans le passé, le Cap-Vert a connu de nombreux épisodes de famine, le dernier en 1947. Nombreux ont été les morts de faim cette année-là. Il n’y avait pas, comme aujourd’hui, d’aide internationale. Le Portugal colonial voulait cacher ces terribles famines aux yeux du monde, les occulter. Mais ces temps sont restés dans les mémoires…
Le manque d’eau est toujours là, c’est un problème constant. Mais maintenant, nous disposons d’une formation aux techniques d’irrigation, notamment l’irrigation goutte à goutte. Il existe des micro-crédits, un appui financier pour acheter des fourrages. Des digues et des barrages pour retenir l’eau ont été construits. C’est une belle initiative du gouvernement. Notre préoccupation première est le chômage des jeunes, notamment des diplômés universitaires. On ne trouve pas à les employer sur place, alors les gens qualifiés émigrent. Ils s’en vont en Angola, en Guinée Equatoriale, où il y a beaucoup de potentiel. Même si la natalité a baissé – il y a 3-4 enfants par famille, contre une moyenne de 6 il y a 25 ans – le pays ne peut pas absorber toute cette main d’œuvre. Par contre, le tourisme se développe bien, surtout depuis la crise provoquée par le «printemps arabe», qui nous amène les touristes qui se détournent de l’Afrique du Nord. Il y a de l’espoir, car on peut voir que la situation du pays s’améliore petit à petit. JB
Encadré
Chaque année depuis 2002, le premier dimanche de juin, les Africains de Suisse partageant la foi chrétienne se donnent rendez-vous à Saint-Maurice, en Valais, pour le désormais traditionnel Pèlerinage aux Saints d’Afrique. C’est à l’initiative des Pères Blancs de Fribourg, notamment du Père Fridolin Zimmermann, qui fut de longues années missionnaire en Tunisie, qu’est né le Pèlerinage aux Saints d’Afrique. Missionnaire d’Afrique rentré en Suisse en l’an 2000, «Frido» sentit d’emblée la nécessité de constituer un groupe de réflexion et d’action pour les Africains chrétiens présents en Suisse. Il voulait qu’ils deviennent «une réalité avec laquelle l’Eglise en Suisse peut et doit compter». Le Père Zimmermann cherchait aussi à rendre les Africains sensibles à leur histoire chrétienne en les emmenant à Saint-Maurice pour unir le souvenir des martyrs de l’Ouganda (victimes de la persécution du roi Mwanga, de 1885 à 1887, durant laquelle périrent une centaine de jeunes chrétiens) à celui de Saint Maurice et de ses compagnons, des légionnaires, qui étaient, eux aussi, Africains.
Il organisa dans ce même lieu, avec la collaboration du Groupe de Coopération Missionnaire de Suisse romande, un pèlerinage aux saints d’Afrique célébré chaque année le premier dimanche de juin. Autour de ce pèlerinage, s’est greffée la création d’une dizaine de chorales africaines dans l’ensemble de la Suisse, peut-on lire à son propos dans les «Notices Biographiques» de la Société des Missionnaires d’Afrique (www.africamission-mafr.org). «L’activité liturgique, estimait-il, est parmi les plus belles choses que les chrétiens d’Afrique peuvent offrir à nos Eglises». (apic/be)