L’ancien archevêque de Mossoul fait salle comble à la Maison de l’Arzillier

Lausanne: Mise en garde de Mgr Georges Casmoussa: le «Printemps arabe» dégénère en «Automne arabe»

Lausanne, 18 octobre 2012 (Apic) Les mouvements islamistes ont actuellement le vent en poupe dans ce que l’Occident a appelé naïvement le «Printemps arabe», mais le courant extrémiste va forcément s’essouffler. «Si les chrétiens du Moyen-Orient ne veulent pas se résoudre à l’émigration, il faut trouver des solutions ensemble avec les musulmans modérés», a lancé le 17 octobre 2012 à Lausanne Mgr Basilios Georges Casmoussa.

L’ancien archevêque syro-catholique de Mossoul, au nord de l’Irak, a fait salle comble à la Maison du dialogue de l’»Arzillier». Invité par «Nouvelle Cité», la maison d’édition du mouvement des Focolari (*), en partenariat avec l’Œuvre d’Orient à Paris, Mgr Casmoussa était mercredi soir l’hôte de la Communauté des Eglises chrétiennes dans le canton de Vaud.

Le «Printemps arabe» a été confisqué par les islamistes,

L’Apic l’a rencontré avant sa conférence intitulée «Demain sera-t-il encore possible d’être chrétien en Orient ?». Ardent défenseur du dialogue avec les musulmans, Mgr Georges Casmoussa dit sa crainte que le «Printemps arabe», confisqué par les islamistes, ne dégénère en «Automne arabe», tout en affirmant que le «vivre ensemble» est encore possible au Moyen-Orient.

Les yeux pétillants, dans un français parfait, l’archevêque de 74 ans veut transmettre un message d’espoir envers et contre tout. «L’inquiétude est légitime face à la montée, partout, d’un islam fondamentaliste qui confond politique et religion. Il faut cependant miser sur l’avenir, et trouver des solutions pour que les chrétiens puissent vivre sereinement sur leurs terres», lance cet homme originaire de Karakosh, dans la Plaine de Ninive, à quelques encablures de Mossoul.

L’émigration a décimé la communauté chrétienne

Dans les faits, la situation des chrétiens en Irak est dramatique. Depuis l’invasion américaine de 2003, la population chrétienne – présente entre le Tigre et l’Euphrate depuis 2’000 ans – a perdu plus de la moitié de ses membres, émigrés essentiellement dans les pays occidentaux. Ils ont cherché asile aux Etats-Unis, au Canada, en Australie, en Suède, en Allemagne ou en France. Il reste dans le pays approximativement 350’000 chaldéens, 60’000 syro-catholiques, autant de syro-orthodoxes, 30 à 40’000 assyriens nestoriens, quelques milliers d’Arméniens – catholiques et orthodoxes – et d’évangéliques.

«C’est la partie la plus formée de la population qui émigre: professeurs, ingénieurs, médecins, artisans, hôteliers, etc. Ceux qui sont partis ne sont pas encore tous arrivés à destination. Ils sont en attente en Syrie, au Liban, en Jordanie, en Turquie. Pour la première fois, la communauté chaldéenne est plus nombreuse dans la diaspora qu’en Irak, qui en reste tout de même le centre, avec le patriarcat de Babylone des chaldéens à Bagdad», note Mgr Casmoussa. La présence chrétienne en Irak se concentre désormais au Kurdistan irakien (Ankawa-Erbil, Duhok, Zakho, Shaqlawa) et dans la Plaine de Ninive (Karakosh, Bartalla, Karamles, Alqosh).

Le gouvernement du Kurdistan encourage la présence des chrétiens

Le gouvernement du Kurdistan irakien, souligne Mgr Casmoussa, encourage la présence des chrétiens, car ils sont bien formés. Les autorités kurdes aimeraient conserver ces cadres qui, outre le fait qu’ils sont compétents, ne s’immiscent pas dans les affaires politiques. De plus, cette attitude d’ouverture vaut au Kurdistan le soutien de l’Occident.

A Ankawa, localité accolée à Erbil, les autorités kurdes ont donné des terrains pour la construction d’églises. Elles veulent que cet ancien fief de la communauté chaldéenne, comptant désormais plus de 30’000 habitants, reste entièrement chrétien. Pour cette raison, elles ont interdit la vente de terrains à des non chrétiens.

Trouver les moyens de maintenir les chrétiens sur place

Dans cette région autonome d’Irak, les chrétiens se sentent en sécurité et ont du travail. Malgré tout, nombre d’entre eux veulent partir. Ils considèrent leur installation au Kurdistan uniquement comme une étape sur le chemin de l’émigration.

Pour maintenir les chrétiens sur place, Mgr Bashar Warda, archevêque chaldéen d’Erbil, avec l’appui de l’Université Saint-Esprit de Kaslik (USEK) au Liban, va prochainement ouvrir une Université catholique à Ankawa, en utilisant le Babel College comme point d’appui.

A Karakosh, en zone irakienne, suite aux agressions commises contre les étudiants chrétiens qui fréquentaient l’Université de Mossoul, l’Eglise a réussi à mettre sur pied un embryon d’Université, succursale de celle de Mossoul. Auparavant, près de 2’000 étudiants de la Plaine de Ninive se rendaient chaque jour à l’Université de Mossoul dans un convoi d’autobus. «Il faut être sur ses gardes, car sur la route nos jeunes filles sont souvent agressées par des fanatiques musulmans».

Mais en mai 2010, commente l’ancien archevêque de Mossoul, cela a été le drame. Des terroristes avaient placé deux autos piégées sur le parcours, juste après le premier poste de contrôle de la sécurité irakienne. Ils avaient également piégé un kiosque, désirant faire un carnage. Découvrant le traquenard, un jeune musulman a cherché à stopper les bus et a été tué dans l’explosion. L’attentat a également causé la mort d’une étudiante et fait 188 blessés. Certains, gravement atteints, ont été évacués sur la Turquie, l’Allemagne et la France, pour être soignés.

Des attentats visant à intimider les chrétiens et à les faire fuir

«On a tout de suite arrêté ces transports patronnés par l’Eglise. Les étudiants ne se sont plus rendus à l’Université pendant une année. Sur les 2’000 étudiants, peut-être 150 jeunes en fin d’études se sont hasardés à se rendre à Mossoul pour terminer leur parcours». Cet attentat avait pour but d’intimider les chrétiens, pour les faire fuir, prendre leurs terres et leurs maisons, assure Mgr Casmoussa. Mais toute la population de la région s’est mobilisée et a fait pression sur Bagdad pour que les chrétiens puissent étudier à Karakosh.

Le recteur de l’Université de Mossoul s’y opposait, ne voulant pas perdre ces bons éléments. La première pierre de la décentralisation a été posée à Hamdanya, près de Karakosh. Pour faciliter cette implantation, l’Eglise a aidé à trouver des terrains et prête sans contrepartie des bâtiments du Centre culturel St-Paul. «Le but est de maintenir les gens sur place, pour leur donner un avenir!» Le problème dans une Université d’Etat, relève-t-il, est qu’il est obligatoire d’accepter des professeurs et des étudiants musulmans, «avec le risque de se faire absorber».

Les chrétiens de la Plaine de Ninive s’accrochent à leurs terres

«Nous avons besoin de conserver l’entièreté du territoire que possèdent les chrétiens… Chez nous, les filles se promènent librement, s’habillent comme elles veulent, se sentent libres». Mais dès qu’il y a une famille musulmane qui s’installe dans le quartier, par sa seule présence, la situation se complique. En effet, les musulmans confisquent rapidement la liberté des chrétiens, déplore Mgr Casmoussa.

«S’ils deviennent majoritaires, ils nous imposent immédiatement leurs lois, construisent des mosquées avec des minarets et des haut-parleurs. Pour éviter cela à Karakosh, on fait pression pour que les chrétiens ne leur vendent pas des terrains de construction ou des terres cultivables».

Les chrétiens rachètent leurs propres terres spoliées sous Saddam

Du temps de Saddam Hussein, à Karakosh, le régime avait distribué à des musulmans 3’000 terrains expropriés, appartenant à des chrétiens. Il les avait remis à des amis du pouvoir, d’anciens combattants, des agents de sécurité, etc. Ces derniers avaient «carrément» établi une colonie dans un quartier de Karakosh.

Les chrétiens se sont évertués à racheter leurs propres terrains pour diminuer cette présence qui causait des problèmes à la majorité. 80% de ces terres ont été reprises. Le même problème se pose avec le gouvernement actuel, qui aimerait également changer la démographie de la zone en distribuant une nouvelle fois des terrains aux musulmans.

«Ce projet a été pour le moment suspendu, mais pas annulé», souligne Mgr Casmoussa. «Nous ne sommes pas contre la promotion des populations musulmanes. Nous sommes pour la coexistence, mais cela ne doit pas se faire au détriment des chrétiens. Nous devons conserver pour les chrétiens ce coin de terre d’Irak, car ce sont des îlots de liberté, c’est notre oxygène! Que va-t-il nous rester si nous ne résistons pas et cédons nos terres ? Nous refusons de les abandonner, même contre une fortune… Des subventions pour l’achat de nos terres viennent du gouvernement à Bagdad, de l’Iran, de l’Arabie saoudite».

«Conserver notre territoire est la garantie de garder notre identité culturelle et religieuse ainsi que nos valeurs morales. Nous ne céderons pas, malgré les pressions de toutes parts pour acheter nos terres ou les confisquer, sous prétexte notamment de développement urbain».

Les musulmans peuvent attaquer les chrétiens en toute impunité

L’ancien archevêque de Mossoul – ville que de nombreux chrétiens ont dû abandonner sous la pression des islamistes – rappelle qu’»il ne se passe pas une semaine sans qu’un chrétien soit menacé, enlevé ou assassiné, sans qu’une église soit attaquée, saccagée ou incendiée…» Cette constante atmosphère de peur, qui crée un sentiment d’abandon et de perte de confiance, s’est amplifiée depuis le 1er août 2004, début de la vague d’attentats sanglants qui a frappé les chrétiens d’Irak.

Ce rejet des chrétiens, présents sur cette terre depuis les tout débuts du christianisme, sept siècles avant l’arrivée de l’islam en Irak, est en grande partie dû à l’invasion américaine de 2003. Cette intrusion de «croisés occidentaux» a généré un fort courant islamiste, dont il est difficile de savoir s’il n’est pas, souvent, qu’un alibi pour des groupes «avant tout opportunistes et mafieux», souligne-t-il.

Désormais, les médias irakiens officiels, ou ceux qui sont inféodés à des groupes islamiques, ont toute liberté d’attaquer et de calomnier les chrétiens sans qu’ils puissent se défendre. Alors que si un Occidental diffuse une simple vidéo qui blesse le sentiment des musulmans, c’est le tollé dans le monde entier!

Malgré cette réalité plutôt sombre, Mgr Casmoussa est persuadé que la situation n’est pas encore irrémédiable. Si on laisse de côté les prédicateurs fanatiques et les courants salafistes et fondamentalistes, qui font tout aussi peur aux musulmans modérés, la majorité des musulmans n’ont pas de griefs contre les chrétiens. «Ils se disent même fiers d’avoir des chrétiens comme voisins ou comme camarades de travail. J’affirme que le dialogue est possible, même s’il est difficile et exigeant. Des efforts doivent être faits des deux côtés, tant de la part des chrétiens que de la part des musulmans!». (apic/be)

(*) Mgr Casmoussa est de passage en France et en Suisse, où il donne une série de conférences pour la présentation de son dernier livre sur les chrétiens d’Irak. Paru ce printemps aux Editions «Nouvelle Cité», l’ouvrage est intitulé «Jusqu’au bout».

Mgr Casmoussa fut, de 1999 à 2011, archevêque syro-catholique de Mossoul, au nord de l’Irak. Depuis mai 2011, il est auxiliaire patriarcal, vicaire d’Ignace Youssef III Younan, patriarche d’Antioche pour les syriaques catholiques, à Beyrouth. (apic/be)

18 octobre 2012 | 17:54
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 7  min.
Irak (322), Lausanne (228)
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