Fribourg: Quelque 120 personnes réfléchissent à la réception du Concile Vatican II
Un Concile Vatican III n’est pas à l’ordre du jour
Fribourg, 8 mars 2012 (Apic) 50 ans après l’ouverture du Concile Vatican II, faut-il un Concile Vatican III ? Les conférenciers invités au colloque «Evangile et culture, Ruptures et dialogue» à l’Université de Fribourg mercredi 7 mars 2012, ont été unanimes: ce n’est certainement pas le moment, la réception du dernier Concile n’étant de loin pas encore achevée. Si les jeunes générations n’en connaissent guère les textes fondamentaux, c’est souvent aussi le cas des contemporains de ce grand événement d’Eglise qui avait suscité tant d’enthousiasme et soulevé tant d’espoir !
Organisée conjointement par le Centre interdiocésain de formation théologique (CIFT) et la Faculté de théologie de l’Université de Fribourg, cette 5e Journée d’études bilingue (français-allemand) a attiré quelque 120 personnes. Leurs réflexions ont été stimulées par les interventions de conférenciers de renom: Mgr Claude Dagens, évêque d’Angoulême (*), Gilles Routhier, professeur à la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, à Québec, grand spécialiste de la réception de Vatican II, et Salvatore Loiero, privat-docent de théologie pastorale à la Faculté de théologie de l’Université catholique d’Eichstätt, en Bavière.
«Dieu a de l’avenir»
Dans son intervention sur thème «Dieu a de l’avenir: l’héritage du Concile Vatican II et la nouvelle évangélisation», Mgr Claude Dagens a fait une lecture historique et spirituelle de ce concile œcuménique, dont les travaux vont s’étaler sur quatre années, depuis son ouverture par Jean XXIII, le 11 octobre 1962, jusqu’à sa clôture par Paul VI, le 8 décembre 1965. «Un événement qui demeure durablement inscrit dans l’histoire de l’Eglise et dans l’histoire du monde, un pèlerinage aux sources, à la jonction entre le mystère du Christ, de l’Eglise et de l’Homme», souligne ce membre de l’Académie française. «L’esprit du Concile ne porte pas avant tout sur les structures d’organisation de l’Eglise».
50 ans après le Concile Vatican II, on ne peut s’abstraire des métamorphoses intervenues dans le paysage du monde entre 1962 et 2012. Finie depuis longtemps l’époque où il était facile d’anticiper l’avenir, d’estimer que demain serait mieux qu’aujourd’hui et que le monde occidental pouvait exercer allègrement sa suprématie, en promettant partout la victoire de la démocratie et le développement économique, relève Mgr Dagens. «L’air que nous respirons en ce début du XXIe siècle est tout différent: il est imprégné au mieux d’incertitude, et au pire de désenchantement et d’inquiétude».
L’Occident ne peut plus rêver d’imposer sa suprématie. Des pays émergents manifestent leur présence et leur puissance, spécialement l’Inde et la Chine, relève l’évêque d’Angoulême. «Mais la crise économique révèle aussi un dérèglement inquiétant de nos systèmes financiers et les révolutions populaires survenues dans les pays arabes, de la Tunisie à la Syrie, annoncent de nouveaux déséquilibres difficiles à prévenir et à maîtriser. Nous ne savons pas où va notre monde, alors qu’en 1962, nous pensions le savoir».
#De l’euphorie à l’incertitude
En ce qui concerne le Concile Vatican II, souligne l’évêque d’Angoulême, sa réception, depuis cinquante ans, s’est accomplie dans des climats très différents: «à une période d’euphorie et même d’enthousiasme a succédé, dans les années 1970, une période de troubles, d’affrontements idéologiques, avec le sentiment que certains espoirs, probablement illusoires, allaient être déçus. Et nous voici, pour faire bref, à un autre moment où la mémoire du Concile Vatican II n’est plus inscrite naturellement dans la conscience des plus jeunes générations. Nous voici donc appelés à un travail d’initiation, qui doit passer par les enseignements de l’histoire, mais aussi par une lecture spirituelle du Concile».
Mgr Dagens estime que nous sommes aujourd’hui plus libres pour effectuer une lecture spirituelle de cet événement qui a rassemblé quelque 2’300 évêques du monde entier. «Nous pouvons aller au-delà des partis pris, des interprétations superficielles ou partisanes, pour chercher à comprendre comment l’Esprit de Dieu a travaillé au milieu des complexités si réelles de l’histoire, à travers le Concile Vatican II et continue à travailler pour que nous le recevions non pas comme un code, mais comme une inspiration, et une inspiration qui peut et qui doit servir notre engagement dans la ›nouvelle évangélisation’».
#Le Concile n’est pas une réorganisation de l’Eglise
L’évêque d’Angoulême insiste: dès le début, le Concile ne s’est pas engagé sur le chemin d’une réorganisation de l’Eglise, mais sur celui d’un approfondissement de sa vocation, au service du monde entier, l’Eglise catholique ne se limitant pas à la défense de ses droits. «Elle se sait envoyée pour ouvrir les chemins de la rencontre entre Dieu et les hommes». Elu pape en juin 1963, Paul VI confirme cette orientation et dans sa première encyclique «Ecclesiam suam», en août 1964, il explique qu’à la suite du Christ et comme Lui, l’Eglise s’engage dans le dialogue de la foi et du salut, avec les autres chrétiens, avec les autres religions du monde et avec les incroyants.
Pour Mgr Dagens, le Concile Vatican II représente, comme le souligne le pape Benoît XVI, un principe de développement organique, et non pas de rupture. Ce principe inspire tous les grands textes du Concile, comme la Constitution sur l’Eglise, «Lumen gentium», qui est radicalement fidèle à ce principe de développement organique. Parce qu’elle montre que l’Eglise du Christ n’est pas seulement le peuple de Dieu présent dans l’histoire des hommes (et l’on n’a parfois retenu que cette perspective historique, souligne-t-il), mais qu’elle est d’abord mystère, c’est-à-dire réalité profonde inséparablement ouverte à Dieu et aux hommes.
D’aucuns pensent que «Gaudium et Spes», la Constitution sur l’Eglise dans le monde de ce temps, ne serait que pastorale et qu’elle ne s’intéresserait qu’à des problèmes d’actualité. C’est inexact, affirme Mgr Dagens. Dans sa première partie, «Gaudium et Spes» est fidèle à cette concentration sur le mystère du Christ. «Il y a dans la première partie de ce texte une magnifique esquisse sur la conception chrétienne de l’homme et de l’existence humaine». Du Christ à l’homme et à l’Eglise, c’est ce chemin que le Concile Vatican II n’a pas cessé de baliser, insiste Mgr Dagens. «Et nous trahirions le travail de l’Esprit Saint si nous ne nous engagions pas à frais nouveaux sur ce chemin-là, ce chemin qui ne s’attarde pas aux difficultés et aux obstacles, mais qui conduit au cœur du mystère de Dieu avec nous. Et c’est le travail de la nouvelle évangélisation».
#50 ans après Vatican II, que reste-t-il à mettre en œuvre?
Le professeur Gilles Routhier relève, lui aussi, qu’il ne sert à rien de simplement commémorer Vatican II, de rappeler «les gloires des temps passés». Ce qui préoccupe ses étudiants à Québec, ce n’est pas le Concile. «Pour la nouvelle génération, que représente le Concile ? Est-ce que cela les aide à vivre ? Mes étudiants ne se sentent pas concernés. Il faut alors partir de leurs questionnements, dans un monde où tout le monde n’est pas catholique, où il y a des non chrétiens, des athées… Il faut partir de leur réalité pour finalement arriver à aborder le Concile avec eux !».
Il lui semble plus important, avant d’envisager un Concile Vatican III, de «réamorcer la vie synodale de l’Eglise catholique» en développant dans les diverses grandes aires culturelles des pratiques synodales, de travail en commun, d’échange, d’écoute et de dialogue, et en faisant participer tout le corps ecclésial. Encore ici, assure-t-il, le fait conciliaire se présente comme «ébranlement des équilibres institutionnels dans l’Eglise catholique et comme la redécouverte de valeurs oblitérées et la valorisation d’attitudes et de pratiques qui appartiennent à son patrimoine». Pour Gilles Routhier, on est encore loin d’avoir épuisé toute la sève du Concile Vatican II.
Les célébrations du 50e anniversaire de Vatican II ne marquent pas l’achèvement de sa réception et de sa mise en œuvre, «mais marquent plutôt l’ouverture d’une nouvelle période de réception qui est susceptible de nous mener encore plus loin». JB