Fribourg: Il y a 40 ans paraissait l’instruction pastorale Communio et Progessio

L’Eglise s’ouvrait totalement au monde de la communication

Fribourg, 16 décembre 2011 (Apic) En mai 1971, l’instruction pastorale Communio et Progressio concrétisait l’ouverture de l’Eglise catholique dans le monde des médias, exprimée lors du Concile Vatican II. Quarante ans plus tard, le document n’a rien perdu de son actualité, malgré les profondes mutations vécues depuis plusieurs décennies dans le monde des médias.

Une journée de réflexion, le 12 janvier 2012 à l’Université de Fribourg, fera le point sur la politique de communication de l’Eglise catholique à la lumière de Communio et Progressio. André Kolly, ancien directeur du Centre catholique de Radio et Télévision (CCRT) à Lausanne, a suivi attentivement l’évolution de la politique de communication de l’Eglise catholique sur la lancée de Vatican II.

Il a accepté de partager avec l’Apic ses connaissances et surtout sa passion pour cette instruction pastorale qui «ne l’a plus quitté» depuis qu’il l’a découverte, peu après sa publication.

Apic: Pourquoi y a-t-il tant d’années entre la fin du Concile (le document conciliaire «Inter Mirifica» sur la communication a été rédigé en 1963) et la sortie de l’instruction pastorale Communio et Progressio?

André Kolly: Car le document a été créé de façon participative. Il y a eu 5 ou 6 versions différentes jusqu’à son adoption. Les épiscopats du monde entier ont été consultés deux fois, ce qui est un phénomène peu ordinaire. J’interprète cela comme une prise de conscience de l’importance des médias dans l’Eglise catholique et une volonté de ne pas se laisser dépasser par cette évolution.

Il faut souligner que très peu de temps a été consacré aux communications sociales durant le Concile, du fait qu’à la première session de l’automne 1962 la question de la liturgie, notamment, a monopolisé les débats, tandis que le document sur la Révélation n’était pas prêt. On a utilisé quelques heures entre deux pour le document sur les communications sociales. Seuls 57 évêques sont intervenus.

A la session de l’année suivante, on n’avait pas plus de temps à consacrer. Le vote global pour le document «Inter Mirifica», a eu lieu de 25 novembre 1963, le jour de l’enterrement de J.-F. Kennedy. L’adoption par 1’600 oui pour 500 non exprime une véritable insatisfaction. Les mécontents estiment qu’il faut absolument que l’Eglise sorte de la moralisation pure et simple des médias, mais ils peuvent se consoler car le document conciliaire demande la rédaction d’une Instruction pastorale.

Apic: Qui se trouve derrière la rédaction de Communio et Progressio?

AK: Le document a subi l’influence de groupes et de personnes durant ses 8 années d’élaboration. On y décèle une influence italienne, allemande, française, irlandaise et aussi américaine. Les organisations médiatiques catholiques UNDA et UCIP y ont également collaboré, tout comme le quotidien La Croix.

La gestion du document a été confiée au Conseil pontifical pour les communications sociales, lequel a fait appel à des professionnels des médias pour son élaboration, dont le Suisse Mgr Jacques Haas, fondateur du CCRT et président d’UNDA-monde entre 1962 et 68.

Apic: Quels ont été vos sentiments à la sortie de ce document?

AK: Je n’ai eu aucune réaction lors de sa sortie car je ne l’avais pas lu. Mais six mois plus tard, j’ai été engagé par Jacques Haas pour rédiger un rapport sur une journée d’étude, en janvier 1972 à Crêt-Bérard, sur Communio et Progressio. Elle avait rassemblé les collaborateurs du CCRT, les équipes des émissions religieuses radio et TV, les rédacteurs en chef des journaux catholiques et d’autres professionnels des médias.

C’est à ce moment que j’ai reçu le document et que je l’ai étudié. Depuis, il ne m’a plus quitté!

Apic: Comment Communio et Progessio a-t-il été accueilli dans le monde des médias et dans les milieux d’Eglise?

AK: Il a été partout très bien accueilli. Les gens des médias à qui on l’avait officiellement adressé se sont sentis reconnus dans leur profession. Et dans les milieux d’Eglise, il a été perçu comme un document élaboré dans la mouvance du Concile.

Je relève une de ses particularités: Communio et Progressio fait apparaître une forme de théologie de la communication. Les médias y sont perçus en fonction de leur finalité: la communication, la relation entre les personnes. Ils ont rôle participatif au mystère de la Trinité, au mystère de la Création, et au mystère de l’Incarnation. Le Christ est présenté comme le «parfait communicateur». Il est communication.

Apic: Certaines idées développées par Communio et Progressio ont-elles été sujets à controverse?

AK: Non, je n’ai entendu aucune véritable critique sur le document. Un de ses remarquables messages est la prise en compte de l’opinion publique (même si ce n’est pas toujours mis en application!). La structure pyramidale d’une Eglise qui informe du haut vers le bas est dépassée. L’opinion publique devient un lieu théologique, où Dieu nous dit quelque chose.

Apic: On retrouve dans Communio et Progressio (no 9) une méfiance face à la presse à sensation. Etait-elle déjà fortement implantée en 1971?

AK: Le Blick, les médias à sensation et la presse à polémique existaient déjà. Mais je relève que Communio et Progressio ne développe pas une argumentation agressive, pessimiste et négative face à la presse. On retrouve au contraire un message optimiste face à la communication par les médias.

Le chapitre sur la publicité est un exemple très illustratif de cet optimisme, et même de cette vision idyllique de la communication. La publicité est perçue comme un moyen d’information, de faire connaître au large public un produit qui pourra lui apporter quelque chose, et non comme une simple incitation à acheter.

Le document a été publié dans un contexte de re-découverte des pays du Sud, dans une période post-coloniale de formidable ouverture. Tout paraissait possible. Les moyens de communication sociale permettaient de bâtir des ponts avec les pays du Sud, en particulier en Afrique et en Amérique latine. L’Eglise pensait avoir en mains un formidable outil pour l’éducation des peuples.

Apic: Communio et Progressio (no 21) met en garde contre la rapidité de l’information au détriment de la précision. Un danger qui s’est vérifié par la suite, et qui se vérifie encore …

A.K: Tout à fait. Dans ce sens, il est d’une actualité toujours remarquable.

Apic: Une valeur fondamentale de la Déclaration universelle des droits humains est la liberté d’opinion et d’expression, que l’on retrouve en long et en large dans Communio et Progressio. Etonnant de la part de l’Eglise, perçue (à tort?) comme un grand censeur?

AK: Cette revendication de la liberté d’opinion et d’expression est à placer dans le contexte plus large de la liberté religieuse, qui est une des valeurs fondamentales développées durant le Concile.

Apic: Mais le commun des mortels n’a pas l’impression que la liberté d’expression est une valeur prônée actuellement par l’Eglise catholique …

AK: C’est vrai. Et pourtant, le Concile le dit clairement: «Les laïcs ont le devoir d’exprimer leur sentiment en ce qui concerne le bien de l’Eglise». Cette affirmation a été développée à maintes reprises lors du synode 72.

Apic: Communio et Progressio affirme que «le droit à l’information est une exigence du bien commun (no 36)». Il réagit également face à toute tentative de museler la vérité ou d’intimider les journalistes, et dénonce les ingérences de l’Etat ou de l’économie. Ces principes sont largement repris dans la Déclaration des droits et des devoirs des journalistes.

AK: Oui, les deux documents sont concomitants. L’Eglise se place dans la mouvance de la liberté et de l’indépendance de la presse. Elle ne reconnaît qu’une seule restriction: le respect de la personne. Une restriction qui est d’ailleurs également reconnue dans le milieu de la presse dans certains cas.

Apic: L’Eglise mettait en garde contre l’emprise des entreprises sur les médias: un appel lancé quelques décennies avant la prise de pouvoir de Bouygues sur TF1 et l’avènement politique d’un magnat de la presse en Italie …

AK: Oui, c’était une mise en garde «prophétique», car ce phénomène était peu développé dans les années 70. Mais on en voyait déjà les racines.

Apic: De même pour la Journée Mondiale des Moyens de Communications sociales, présentée avec enthousiasme dans le document (nos 100 / 167), mais qui a de la peine à s’imposer encore aujourd’hui dans l’Eglise. Pourquoi?

AK: Il manque une véritable prise de conscience de l’importance des médias dans notre environnement. Le Suisse passe en moyenne plus de 5 heures par jour dans les médias, mais croit qu’il n’a pas besoin de formation au décryptage des moyens de communication sociale.

Les buts de la Journée Mondiale des Moyens de Communications sociales sont:

– Une prise de conscience de l’importance de la communication dans l’Eglise,

– L’expression d’une solidarité avec les médias catholiques,

– Une meilleure compréhension des structures médiatiques qui nous environnent.

Dommage que ces buts ne soient pas davantage pris en compte lors du Dimanche des médias. Par ailleurs, je vois dans les paroisses des prêtres surchargés, et qui peinent à marquer de façon particulière tous les dimanches à thème.

Apic: Sur quels points l’instruction pastorale Communio et Progressio interpelle-t-elle le plus l’Eglise aujourd’hui?

AK: Réapprendre à donner et à recevoir. L’Eglise catholique trouve dans ce document les moyens d’écouter encore davantage le Peuple de Dieu.

On y affirme également que la communication par les médias est une affaire de professionnels, avec des principes et des règles (no 118). Et que «le langage des médias n’est pas celui de la chaire».

Apic: Lorsque l’on évoque Vatican II, beaucoup de catholiques estiment qu’il n’est pas nécessaire de convoquer un nouveau concile et affirment que tout n’a pas été mis en pratique, loin de là. En est-il de même pour Communio et Progessio?

AK: Pour moi, Communio et Progessio est une étape dans la communication de l’Eglise par les médias, et il ne faut pas aller en deçà. Cela dit, ce document est suffisamment riche et il est resté d’actualité, même si le paysage médiatique a énormément évolué.

Apic: L’Eglise catholique et les médias aujourd’hui: Climat de méfiance réciproque? Une histoire d’amour – haine?

AK: Je pense que l’Eglise catholique a encore conservé une vision davantage utilitaire que culturelle de la communication par les médias. On a tendance à considérer les médias par rapport à leur utilité, un peu comme le font la plupart des entreprises.

J’ai en tête un exemple pour illustrer le «syndrome de la chaise vide». J’ai vu dernièrement une émission «Zone d’ombre» consacrée au garde suisse Cédric Tornay, dont la culpabilité dans l’affaire du massacre du commandant et de sa femme est remise en cause, notamment par sa mère. La TV romande a cherché en vain un représentant de l’Eglise catholique. Elle l’a montré en posant une étole sur une chaise vide. C’était le symbole très fort d’une Eglise peu ouverte à la communication dans certaines situations embarrassantes.

Encadré:

Communio et Progressio, morceaux choisis

Vision idyllique des médias:

«Ainsi, les médias figurent à bon droit parmi les ressources et les possibilités les plus efficaces dont l’homme peut user pour affermir la charité, elle-même source de communion.» (No 12)

Divertir, oui, mais en vue de l’éducation de la personne!

«Les informations, les émissions artistiques et les divertissements doivent concourir à la vie et aux progrès de la collectivité. Les moyens de communication doivent donner non seulement les événements, mais aussi les circonstances pour permettre à toutes les personnes de comprendre les problèmes de la société et de contribuer activement à son progrès. Il faut donc garder un juste équilibre entre les nouvelles, les émissions culturelles, les divertissements, qu’ils présentent ou non une valeur éducative.» (No 16)

«Etant donné que les moyens de communication sociale incitent l’homme à l’évasion et à la rêverie, comment faire pour qu’ils ne le détournent pas de la vie réelle et de ses tâches? Comment éviter le laisser-aller, la paresse et une certaine atonie mentale?» (No 21)

Progression rapide des médias, déjà à l’époque!

«Les moyens de communication sociale progressent avec une telle rapidité qu’ils font sauter les barrières dressées entre les hommes au gré des temps et des lieux. Ils se présentent comme facteurs d’un rapprochement plus étroit et plus stable. Grâce à eux, l’information fait sur-le-champ le tour du globe et permet de participer plus activement à la vie du monde d’aujourd’hui.» (No 20)

Liberté d’opinion et d’expression

«La formation même de l’opinion publique exige la liberté pour chacun d’exprimer ses sentiments et ses réflexions. Il importe donc, avec le Concile Vatican II, de reconnaître, tant aux individus qu’aux groupements, le droit d’exprimer leur propre opinion, dans les limites de l’honnêteté et du bien commun.» (No 26)

«Tous les hommes sont invités à concourir à la formation de l’opinion publique, directement ou par des interprètes de leur propre pensée.» (No 28)

Droit à l’information

«Le droit à l’information apparaît-il aujourd’hui non seulement comme une prérogative de la personne, mais comme une exigence du bien commun.» (No 36)

La rapidité au détriment de l’exactitude

«La course de vitesse devient une nécessité commerciale. Cette précipitation inévitable nuit parfois à l’exactitude de l’information,» (No 39)

Dialogue dans l’Eglise

«Les catholiques donc, dans la fidélité au magistère, peuvent et doivent s’engager dans une recherche libre, afin d’être mieux à même de comprendre en profondeur les vérités révélées et de les présenter aux divers groupes humains. Ce dialogue à l’intérieur de l’Eglise ne porte préjudice ni à son unité ni à la solidarité entre croyants.» (No 117)

(apic/bb)

16 décembre 2011 | 11:11
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 9  min.
Médias (142), Vatican II (75)
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