Philippines: Démantèlement de l’Hacienda de la famille du président Aquino
Confier la terre à ceux qui la travaillent
Tarlac, 26 novembre 2011 (Apic) L’Eglise catholique accueille favorablement la décision de la Cour suprême, démantelant l’Hacienda Luisita, fief de la famille du président Aquino, au profit des paysans qui la cultivent.
Il s’agit «d’une décision attendue depuis longtemps et d’un pas en avant, montrant que la Cour pouvait vraiment œuvrer pour la vérité et la justice», a déclaré le Père Edu Gariguez, secrétaire exécutif du Secrétariat national pour l’action sociale de la Conférence des évêques catholiques des Philippines, suite au démantèlement de l’Hacienda Luisita.
Selon la décision de la Cour suprême du 24 novembre, les 4’916 hectares de l’Hacienda Luisita doivent être transmis en pleine propriété aux 6’296 paysans qui les cultivent, rapporte Eglises d’Asie (EDA), l’agence d’information des Missions étrangères de Paris. Le jugement annule la décision de justice de juillet dernier, selon laquelle les paysans devaient seulement se voir transférés des actions représentant une part du capital de l’Hacienda Luisita Inc., la société chapeautant le domaine.
Située à une centaine de kilomètres au nord de Manille, dans la province de Tarlac, cette vaste plantation de canne à sucre appartient depuis 1958 à la famille Aquino-Cojuangco, la famille de Benigno Aquino III, au pouvoir depuis mai 2010. En dépit de la réforme agraire votée en 1988, l’hacienda familiale a toujours échappée à tout démantèlement au profit des paysans qui y vivent.
Vers l’application de la loi
Mgr Broderick Pabillo, évêque auxiliaire de Manille, s’est prononcée depuis des années en faveur d’une véritable réforme agraire, toujours annoncée mais jamais appliquée. Le président Benigno Aquino était très attendu sur le terrain de la justice sociale, la réforme agraire étant l’un des éléments clefs des réformes à mettre en place. Selon les observateurs philippins, si ’Noynoy’ Aquino parvenait à des résultats sur ce terrain-là, cela indiquerait qu’il est capable d’initier un vrai changement dans le pays. Par contre, un échec montrerait qu’il n’est que l’héritier d’un système, fils d’une élite riche et puissante.
Conscient de l’enjeu, Benigno Aquino s’est retiré du capital de l’hacienda familiale, dès son élection. «Il a vendu ses parts. Ainsi, rien ne pourra le mettre en situation de conflit d’intérêt», avait indiqué son porte-parole. Comme aucune initiative politique n’était prise, Mgr Broderick Pabillo avait dénoncé publiquement «le silence» présidentiel en la matière: «La faiblesse des résultats produits par le ministère de la Réforme agraire en termes d’acquisition et de redistribution des terres reflète l’absence de volonté politique clairement exprimée par le président sur la question de la réforme agraire».
Dans leurs attendus, longs de 56 pages, les juges écrivent que l’objet de la réforme agraire est de confier la terre à ceux qui la travaillent: «Nous réalisons que les bénéficiaires de la réforme agraire n’auront jamais le contrôle effectif sur les terres agricoles aussi longtemps qu’ils n’en resteront que des actionnaires [minoritaires]». Les juges ont ordonné à l’Hacienda Luisita Inc. d’indemniser à hauteur de 1,33 milliards de pesos (22 millions d’euros) les paysans qui, ces dernières années, ont été chassés du domaine familial pour construire des routes ou des enclaves résidentielles.
Dans l’immédiat, le palais présidentiel n’a pas réagi à la décision de la Cour suprême. «Personne n’est au-dessus des lois», a déclaré le porte-parole de l’Hacienda Luisata Inc., Antonio Ligon, laissant entendre que la famille respecterait le jugement. Celui-ci ne lui a pas encore été notifié officiellement. (apic/eda/ggc)