De nouveaux passagers dans la vieille barque «Eglise»
Fribourg: Journée d’étude à l’Université sur la pastorale interculturelle
Fribourg, 6 novembre 2011 (Apic) La proportion d’étrangers en Suisse en 2010 s’élève à 22,4% de la population, selon l’Office fédéral de la statistique (OFS). Si, dans leur grande majorité, les migrants sont de confession catholique, nombre d’entre eux restent en marge de la pastorale, relève la Commission de planification pastorale (CPP) de la Conférence des évêques suisses (CES). La CPP organisait samedi 5 novembre une journée d’étude à l’Université de Fribourg intitulée «Une Eglise multilingue».
Près d’une centaine de personnes ont participé à cette journée consacrée à la pastorale interculturelle. Parmi eux, des responsables dans le domaine de la pastorale des migrants, des représentants des missions linguistiques, des collaborateurs pastoraux, des responsables de corporations ecclésiastiques, des théologiens et des professeurs. Mise sur pied par la CPP et la Coordination interdiocésaine (IKO), la journée a débuté par une conférence du professeur Michael Felder, qui enseigne la théologie pastorale et la pédagogie religieuse à l’Université de Fribourg, aux côtés de son homologue francophone, le professeur François-Xavier Amherdt.
Abordant le thème des nouveaux arrivés face à une Eglise établie depuis des siècles, le professeur Felder a relevé que dans certaines villes et régions de Suisse, les migrants catholiques sont devenus majoritaires au sein de l’Eglise catholique. Effet de la mondialisation, ce ne sont plus seulement les groupes venant des anciens pays catholiques d’Europe qui s’établissent en Suisse, mais d’autres catholiques issus de multiples courants migratoires de plus petite taille.
Le monde entier se reflète de plus en plus dans le paysage ecclésial suisse
Le monde entier se reflète de plus en plus dans le paysage ecclésial suisse, du lac Léman au lac de Constance. Le modèle des vaisseaux de pierre qu’ont été nos églises pendant des siècles, bâties pour des générations, est mis en question par l’irruption de cette diversité. Et de souligner que l’Eglise n’est pas fixée dans une seule culture, une «monoculture», qui serait celle de l’Eglise locale.
«Les nouveaux passagers ont des difficultés dans la vieille barque ’Eglise’», a lancé le jeune prêtre originaire d’Allemagne du Sud. Pour nombre de ces nouveaux arrivants, la religion représente en effet bien plus que ce qu’elle est pour les autochtones immergés dans une société sécularisée et à la rationalité «trop sèche». Les migrants venant des pays du Sud ont davantage le sens du mystère, sans que cela puisse être qualifié de superstition.
Au lieu de se féconder mutuellement, le «catholicisme suisse» et les «catholicismes des migrants» existent souvent l’un à côté de l’autre, a-t-on entendu. Dans un pays d’immigration comme la Suisse, l’Eglise catholique est par conséquent appelée à donner un nouveau témoignage.
Le projet d’Unité Pastorale Pluriculturelle (UPP) à Renens-Bussigny
Décrivant le projet d’Unité Pastorale Pluriculturelle (UPP) à Renens-Bussigny, près de Lausanne, Mgr Rémy Berchier, vicaire général du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF), a tenu à préciser qu’il s’agissait là d’une expérience à l’état de réflexion. Elle a pour but d’étudier la faisabilité de la pluriculturalité et du degré de possibilité de cette dernière.
Cela nécessite de nombreuses analyses et discussions avec une multitude de partenaires provenant tant de l’Unité pastorale (UP) que des Missions linguistiques. L’UP Renens-Bussigny compte 28’000 catholiques, à savoir la moitié de la population du territoire. Dans la seule ville de Renens, où cohabitent 115 nationalités différentes, sur 22’000 catholiques, 12’000 viennent «d’ailleurs», dont une majorité de lusophones (5’857), suivis par les italophones (3’790) et les hispanophones (2’023).
Il s’agit de faire de l’UP Renens-Bussigny une UPP (Unité Pastorale Pluriculturelle), en tenant compte du travail de communion déjà réalisé ces 5 dernières années, notamment avec la nomination d’une Equipe Pastorale (EP) pluriculturelle en 2005 (avec un curé modérateur francophone, un curé parlant portugais, un prêtre espagnol, un missionnaire italien, des agentes pastorales italienne, espagnole, et francophones). L’EP avait reçu pour mission de l’évêque, Mgr Bernard Genoud, de jeter des ponts entre les communautés.
L’objectif final: une Communauté de communautés
L’objectif est d’avoir au final une Communauté de communautés, à savoir une seule entité tant du point de vue de la pastorale que de l’administration. Dans le processus en cours, a souligné Mgr Berchier, «nous avons remarqué combien c’est douloureux de séparer les italophones et les hispanophones de leur Mission respective de Lausanne!» Le vicaire général le reconnaît: il reste un long et large travail d’information à entreprendre dans toutes les communautés, une vision d’Eglise à faire grandir patiemment, tout en cherchant le plus large consensus possible. Il est prévu de mettre en commun les conclusions de ce processus au début 2012.
40% des catholiques de LGF sont issus de l’immigration
A Genève, la multiculturalité du milieu catholique est un fait: sur les 200’000 catholiques, plus de la moitié sont des étrangers (Dans le diocèse de LGF, sur les 690’000 catholiques, 40% sont issus de l’immigration). Parlant de l’expérience d’une unité pastorale pluriculturelle réunissant à Genève depuis le printemps 2008 les Missions linguistiques italophone, hispanophone et lusophone, le Père Luciano Cocco a relevé qu’elles étaient desservies toutes trois par des missionnaires scalabriniens, une congrégation religieuse au service des migrants. Ce qui explique en partie ce rapprochement. «On ne travaille pas seulement entre nous, on cherche aussi à établir des liens avec les paroisses voisines!». Mais ce chemin commun n’est pas si facile, car les communautés sont très différentes.
Les Italiens envoient leurs enfants au catéchisme dans les paroisses: il n’y en a que 180 qui suivent le catéchisme à la Mission. Si la majorité des Italiens sont là depuis des générations – leur Mission a 110 ans! – de nouveaux arrivent, qui travaillent dans les multinationales ou des organisations internationales comme le CERN. Ces derniers, par contre, ne parlent qu’italien et anglais. Le maintien de la Mission a certainement un sens pour eux, «mais pas pour ceux qui vivent en Suisse depuis 4 ou 5 générations!» Autre réalité: la Mission portugaise dispose de 150 catéchistes, qui donnent le catéchisme à 2’200 enfants. Pour cette communauté, la religiosité populaire, par ex. la vénération de Notre-Dame de Fatima, est un élément très important.
Nous marchons ensemble vers un homme nouveau
Les hispanophones sont devenus une communauté très hétérogène et complexe, avec l’arrivée de latino-américains appartenant à une vingtaine de pays différents, du Mexique au Chili… Le missionnaire note la présence de nombreux sans-papiers dans les communautés hispanophone et lusophone. Pour le Père Luciano Cocco, il est indispensable d’élargir la communion avec les paroisses, aussi pour que l’on ouvre les yeux sur ces autres réalités. «Aujourd’hui, nous marchons ensemble vers l’homme nouveau, a conclu Mgr Pierre Farine, évêque auxiliaire à Genève, car dans 20 ans, le visage pastoral de l’Eglise, chez nous, sera totalement différent de celui d’aujourd’hui». Et d’inviter les évêques suisses à reprendre la réflexion sur ces nouvelles réalités. JB