Les évêques suisses demandent pardon pour les abus sexuels commis dans l'Eglise
«Des profondeurs je crie vers toi Seigneur!» Entonné par les évêques suisses à genoux, le psaume a rempli le 5 décembre 2016 la basilique de Notre-Dame de Valère, à Sion, en signe de repentance pour les abus sexuels commis dans l’Eglise catholique.
«A la demande expresse du pape François, nous avons voulu, comme Conférence épiscopale, organiser ce temps commun de prière pour toutes les victimes d’abus sexuel dans le cadre du ministère», a expliqué Mgr Jean-Marie Lovey, évêque de Sion. «Depuis des siècles des hommes et des femmes sont montés à Valère, confiants qu’ici haut, ils pouvaient déposer ce qu’ils avaient sur le cœur.» Sous les voûtes de la basilique de Valère, les évêques suisses ont voulu «prêter leur voix et leurs larmes», aux victimes de «l’innommable violence qui a bouleversé et parfois même détruit leur vie», pour faire monter vers Dieu le cri de leur souffrance.
Les évêques ont dit aussi à Dieu «combien nous sommes tristes et peinés de savoir que certains de nos frères et sœurs en humanité ont pu avoir des comportements aussi odieux.» Le chant du psaume 50 «Pitié pour moi mon Dieu, dans ton amour, selon ta grande miséricorde, efface mon péché» a exprimé la repentance.
Pour que les abus sexuels ne soient plus cachés sous le tapis
La petite foule réunie à Valère formée de délégations des diocèses et congrégations religieuses de Suisse ainsi que de victimes, restées pour la circonstance anonymes, a prié pour que les abus sexuels ne soient plus jamais «cachés sous le tapis». Pour que les victimes «qui ont été cassées et n’ont plus retrouvé la force de vivre», ressentent la miséricorde de Dieu.
Les évêques ont voulu aussi avoir une pensée particulière pour les victimes d’abus sexuels «profondément déçues par l’Eglise et ne veulent plus rien en savoir, tout en vivant au plus intime d’elles-mêmes le désir de retrouver un chez soi dans la foi. «Montre-nous comment les approcher sur un chemin d’humble reconnaissance de culpabilité et de rémission.»
C’est à genoux, sur les marches du chœur de la basilique séculaire, que les évêques ont entonné le psaume 129 «Des profondeurs je crie vers toi Seigneur! Ecoute mon appel ! (…) Si tu retiens les fautes Seigneur qui subsistera ?» Chaque évêque a alors déposé sur l’autel un lumignon orné d’une petite étoile.
La CES, l’Union des Supérieurs majeurs religieux de Suisse (VOS’USM) et la Conférence centrale catholique romaine de Suisse (RKZ) ont saisi cette occasion pour donner, lors d’une conférence de presse, l’état de la question des abus sexuels dans le contexte ecclésial.
Sur le plan national, les directives de la CES ont été revues et adaptées depuis leur première édition en 2002. La VOS’USM s’est jointe à la CES pour la troisième édition, parue en 2014. Les directives ne s’appliquent désormais plus uniquement aux seules personnes actives en pastorale mais à toutes les personnes qui travaillent dans le contexte de l’Eglise, comme, la catéchèse, dans le travail social ou les activités de jeunesse, la musique liturgique.
Fonds d’indemnisation pour les cas prescrits
Les responsables ecclésiastiques estiment particulièrement lourde la situation des victimes d’abus sexuels prescrits selon le droit civil et le droit canon. Pendant longtemps les instances de l’Eglise ne les ont pas entendues. Afin de répondre au moins partiellement à leur attentes un fonds de réparation de 500’000 francs a été constitué par la CES, la VOS’USM et la RKZ. Une commission indépendante décide de l’octroi des indemnisations et de leur montant d’un maximum de 10’000 francs (20’000 francs pour des cas exceptionnels).
Statistiques 2010-2015
La commission d’experts «Abus sexuels dans le contexte ecclésial» de la CES a présenté une statistique des cas annoncés. Alors qu’en 2010, suite à un premier et fort appel, 115 cas d’abus sexuels étaient annoncés aux instances diocésaines, le nombre s’est nettement réduit les années suivantes: 24 (2011), 9 (2012), 11 (2013), 11 (2014), 24 (2015). La majeure partie des cas annoncés d’abus sexuel s’est déroulée entre 1950 et 1990.
Pas que des enfants
Des 223 victimes annoncées au cours de ces six ans, 49 étaient des enfants au-dessous de 12 ans au moment des faits, 23 filles et 56 garçons entre 12 et 16 ans, 43 femmes adultes et 38 hommes adultes. Il n’a pas été possible d’obtenir des indications précises sur l’âge de 14 victimes au moment des faits.
Pour la période donnée, on dénombre un total de 204 auteurs, dont 103 prêtres diocésains, 47 religieux, 11 religieuses, 5 théologiens ou théologiennes laïques, 6 personnes d’autres professions. Dans 32 cas les auteurs n’ont pas pu être identifiés avec certitude. Giorgo Prestele, président de la commission d’experts, a rappelé que les cas couvrent tout le spectre des abus sexuels possibles, des déclarations déplacées, et des gestes à connotation sexuelle jusqu’au viol.
Les évêques suisses appellent les victimes à s’adresser aux services d’accueil de l’Eglise ou aux services cantonaux d’aide aux victimes. Les victimes doivent recevoir justice et les coupables doivent être amenés à rendre des comptes même si les abus remontent loin.
Pas de publication de listes de prêtres abuseurs
Mgr Felix Gmür, responsable du dicastère au sein de la CES a néanmoins exclu la parution de listes de prêtre abuseurs, comme cela s’est fait dans certains pays, essentiellement pour des raisons juridiques de prescription et de présomption d’innocence. L’évêque de Bâle a précisé que dans l’Eglise le délai de prescription est de 20 ans après la majorité sexuelle de la victime (18 ans). Dans les cas graves le Saint-Siège peut lever ce délai et sanctionner des prêtres sans limite temporelle.
Pour la Suisse romande, Mgr Morerod a indiqué que la CECAR instaurée au début 2016 va commencer prochainement son travail. La difficulté à recruter des personnes compétentes pour accueillir les victimes a quelque peu rallongé les délais. (cath.ch/mp)